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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/240

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Ainsi, quelles qu’en soient les raisons, et que ces raisons aient été bonnes ou mauvaises, il est certain qu’un changement s’est opéré dans les dispositions du gouvernement à l’égard de ce que l’on appelle le parti clérical ou catholique. Qu’on prenne un exemple, celui de la société de Saint-Vincent-de-Paul. On ne peut nier que le gouvernement ait vu cette société d’un œil différent à des époques diverses. M. Billault a invoqué avec un grand succès les principes de notre ancien droit public contre cette société à propos du protectorat qu’elle a reçu d’un cardinal romain, et de ses affiliations étrangères ; mais pourquoi ne lui a-t-on appliqué ces principes qu’en 1861 ? Pourquoi, de 1852 à 1859, cette société, qui se développait avec une surprenante rapidité, était-elle traitée avec bienveillance, quoique le protectorat du cardinal romain datât de 1851, et bien que depuis son origine ses ramifications se fussent étendues hors de la France ? Si M. de Ségur-Daguesseau se fût contenté de constater que le gouvernement a eu deux conduites différentes à l’égard de la société de Saint-Vincent de Paul et des intérêts cléricaux, il eût avancé un fait si patent qu’aucune ressource oratoire n’eût permis à M. Billault de le nier ou de le déguiser. Il y a lieu ici de tenir compte d’une observation importante. Il ne faut pas oublier que nous ne vivons point sous un régime parlementaire ; M. Pietri en a exprimé sa satisfaction, et en cela du moins il peut se flatter de posséder l’unanime adhésion de ses collègues. Sous le régime parlementaire, les changemens de conduite de la part du gouvernement n’avaient rien de choquant, car ils étaient la conséquence nécessaire du changement des personnes responsables dans la direction du pouvoir. Sous ce régime, qu’une politique anticléricale succédât, comme cela est arrivé plus d’une fois en Belgique, à une politique favorable aux intérêts cléricaux, rien n’eût été plus naturel ; mais il n’en a pas été, il ne pouvait en être ainsi chez nous. Les conduites ont changé, le personnel politique qui occupe le pouvoir demeurant le même. Il y a dans ce fait des variations de la politique n’étant pas accompagnées de changemens de personnes une question délicate à laquelle il est de l’intérêt du pouvoir de veiller de près. C’est un de ces cas pour lesquels nous osons suggérer qu’il serait peut-être utile au pouvoir de diminuer et d’alléger ses responsabilités.

Le cas de la législation de la presse est de même nature. Le gouvernement ne peut plus se méprendre sur le caractère que cette législation, à tort ou à raison, a aux yeux du public : les pouvoirs qu’elle lui donne sur les journaux sont si grands, si étendus, qu’on le tient pour responsable des opinions de la presse qu’il ne frappe pas de répression administrative, et dont il tolère la manifestation. Le public va trop loin sans doute dans cette interprétation de la responsabilité du gouvernement en matière de presse. Il serait impossible pourtant de soutenir qu’il se trompe entièrement. L’erreur, si erreur il y a, a d’ailleurs été commise très souvent à l’étranger, et un certain nombre de sénateurs viennent d’y tomber avec éclat.