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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/255

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ne sera pas complètement établi entre le chiffre de la population, l’étendue des terres et les ressources du sol, et aussi parce qu’un fait ne saurait subsister toujours quand la conscience unanime des hommes éclairés et honnêtes le reconnaît empreint d’injustice et d’immoralité.

Parmi les nombreuses pérégrinations de M. Froebel, les plus instructives sont assurément celles qui l’ont conduit dans l’intérieur et dans l’ouest des États-Unis. Elles nous apportent des renseignemens pittoresques et peu connus sur le mode de transit, sur les difficultés que les commerçans doivent surmonter, les ennemis qu’ils ont à combattre, les conditions pénibles de leur existence. Le voyageur allemand, après avoir fait de vains efforts pour exploiter les richesses minéralogiques du Nicaragua, puis participé à la rédaction d’un journal de New-York, se chargea d’un emploi pour une riche maison de commerce, et dut accompagner un convoi de marchandises de cette maison qui était adressé à la ville mexicaine de Chihuahua, et c’est de ce point éloigné, où il parvint en effet, qu’il est remonté, en franchissant les vallées du Gila et du Rio-Colorado, jusqu’à San-Francisco.

L’expédition partait d’Indépendance sur le Missouri, et le convoi se composait de vingt chariots attelés chacun de cinq couples de mulets, plus des bêtes non chargées destinées à servir de relais et d’un nombreux personnel de muletiers et de charretiers. Le transport des marchandises et des voyageurs du littoral au Missouri est très facile, grâce aux nombreuses voies navigables et ferrées qui sillonnent à l’est de ce grand fleuve les États-Unis ; mais aussitôt après cette limite commencent les périls et les difficultés. La petite ville d’Indépendance est au bord même de la prairie, et un peu au-delà se détache de l’embranchement qui mène chez les Mormons et à l’Orégon, celui qui conduit par El Paso du Rio-Grande sur Chihuahua, dans une direction du nord-est au sud-ouest. C’est celui que la caravane allait suivre. Elle se composait uniquement d’attelages de mulets ; les bœufs, qu’emploient encore les voyageurs de ressources modestes, sont moins estimés parce qu’ils supportent moins bien la chaleur et la soif et qu’ils sont beaucoup plus lents : il est vrai qu’ils coûtent trois fois moins. La plupart des bêtes de somme périssent dans le trajet ; l’expéditeur sait qu’il doit faire entrer dans le compte de ses frais la perte d’une grande partie de ses mulets, et la mortalité occasionnée par les excès de la fatigue est encore augmentée par la brutalité des charretiers envers les bêtes de somme. Ces charretiers sont pris de préférence parmi les Américains, qui conservent un grand sang-froid jusque dans leurs accès de violence, et qui dans les mauvais chemins ont une étonnante patience, tandis que les Allemands s’emportent. Quant aux muletiers ; ce sont toujours des Mexicains ; ils conduisent les bêtes de rechange, mènent paître, et boire le troupeau et rattrapent au lasso, avec une incroyable dextérité, les animaux qui se sont enfuis. Ils sont peu braves dans le danger, mais patiens et toujours gais et de bonne humeur, même dans les plus mauvais temps et par les plus dures fatigues. Leur salaire est de 12 à 20 dollars par mois. Les chariots sont de structure solide et portent ordinairement de cinq à six mille livres. Il faut arroser les roues aussi Souvent qu’on le peut dans les hauts parages de l’est, où la sécheresse de l’air leur est nuisible. En dehors de ses propriétaires.