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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/279

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longue par la falaise que par les tours et détours des chemins de voiture. D’ailleurs ces chemins sont dangereux la nuit pour les chevaux, et nous eussions pu être retardés par un accident. Ma première pensée fut d’entrer au poste pour m’enquérir d’Estagel. Je le trouvai assis près du lit mortuaire. La Zinovèse n’était plus qu’une forme vaguement dessinée sous un drap blanc semé de branches de cyprès. À la clarté des cierges qui brûlaient aux quatre coins de ce lit, je pus examiner attentivement la physionomie austère du brigadier. Rien ne trahissait en lui une pensée étrangère à la douleur morne et recueillie de sa situation.

J’avoue que je n’osai l’interroger. Une vieille femme qui veillait et priait au bout de la chambre vint à moi sur le seuil, et me dit à voix basse : — Vous cherchez aussi l’officier, vous ? Bah ! il n’est pas venu chez nous. Il est sur son navire. Qu’est-ce que vous voulez qui lui soit arrivé ? Il n’y a pas de mauvaises bêtes par ici, et les voleurs n’y viennent pas ; il n’y a que de pauvres maisons, et si peu !

— Il pourrait avoir fait une chute le long des falaises.

— Lui, le plus beau marcheur qu’on ait jamais vu marcher, et qui connaît si bien tous les passages ! Oh ! que non, qu’il ne tombe pas, celui-là ! C’est bon pour les enfans, pour ce pauvre petit de trois ans qui, l’an dernier…

La vieille femme se mit à me raconter un accident très pathétique sans doute, mais que je n’avais pas le loisir d’écouter. Je la quittai brusquement. Elle me rappela pour me dire : — Prenez garde à vous tout de même, si vous ne connaissez pas la côte ! Emportez au moins une lanterne, et n’allez pas sans faire attention.

Je pris la lanterne, et je partis avec Marescat, qui avait en vain cherché à s’enquérir de nouveau. Tout le monde était endormi encore dans le poste. On avait veillé tard, le jour paraissait à peine ; les gardes-côtes de faction, trouvant nos recherches puériles et s’étant d’ailleurs prêtés à toutes les explorations voulues, nous invitèrent à ne pas troubler leur service par des cris et des appels qui ne pouvaient plus avoir de résultat.

Je pensais comme eux que Pasquali s’était laissé égarer par une inquiétude sans fondement, et qu’avec le jour nous le reverrions tranquillisé. Néanmoins je voulus examiner par moi-même. Marescat était très fatigué. Au bout d’une demi-heure de marche, je l’engageai à se reposer dans une guérite abandonnée. Je continuai seul. Le nuage qui la veille au soir s’était détaché du promontoire s’était reformé durant la nuit. Je marchais donc dans une épaisse brume qui rendait mon exploration assez vaine. Les troncs des arbres m’apparaissaient à chaque pas comme de noirs fantômes, et les pâles