Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/344

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autre se compare à Bradamante, à Caron, et même au roi Xercès.

En Allemagne, Goethe et Schiller empruntent des motifs aux chants populaires ; en Italie, ceux-ci empruntent aux grands poètes leurs stances, leurs épisodes et jusqu’à leurs expressions. Les vers lyriques de Dante étaient chantés par les artisans et par les vendeuses d’herbes de Florence, qui, en fait de goût, paraît-il, ne le cédaient pas à celles d’Athènes. Le Tasse et Pétrarque ont conquis dans toute l’Italie la palme de la popularité, non moins rare que celle du Capitole. Plusieurs stornelli toscans offrent la preuve que le chaiit d’Herminie n’est pas moins familier aux montagnards des Alpes et de l’Apennin qu’aux gondoliers de Venise. Toute l’Italie a répété la chanson de Salvator Rosa :

Dolce pace del cor mio,
Dovè sei, chi t’ha rubato ?


On comprend que cette gracieuse cantilène de l’artiste à la vie aventureuse ait parlé aux imaginations populaires ; mais ce qui étonne davantage et n’est pas moins caractéristique du génie italien, c’est que les concetti des poètes académiques du XVIIe siècle partagent ce privilège avec les inspirations vigoureuses du trecento et les beautés plus régulières de l’Arioste et du Tasse. Ainsi une personne digne de foi affirma à Tommaseo avoir vu l’Adone de Marini dans les mains d’un pâtre des Alpes.

Les philologues, dit M. Tigri dans la préface de son recueil, seront agréablement surpris de voir quelle part considérable de la langue et même de la poésie du XIVe siècle est encore vivante et conserve sa fraîcheur primitive dans la bouche du peuple de nos campagnes. Plusieurs chansons populaires commencent par ce début dantesque :

Je suis descendu dans l’enfer, et j’en suis revenu.

y a aussi une chanson sicilienne qui débute par le vers bien connu de Dante, à peine déguisé sous une forme patoise :

Donni ch’aviti’intellettu d’amuri.


Un autre poète populaire de la Sicile croit devoir bénir, suivant une formule familière à tout bon amoureux italien[1], le père et la mère de sa bien-aimée qui ont enfanté un objet si beau, et il reproduit l’image célèbre de l’Arioste :

Natura il fece, poi ruppe la stampa.


Ces réminiscences classiques s’allient quelquefois à une ignorance

  1. Benedetta sia la madre
    Che ti fece cosi bella.