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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/347

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jeune fille que son père veut contraindre à entrer au couvent. Elle trouve le moyen d’écrire à son amant pour qu’il vienne la délivrer. Aussitôt celui-ci court à l’écurie, examine un cheval, puis un autre, et fait mettre la selle au plus vigoureux[1]. Il pique des deux et arrive au moment où les vœux allaient être prononcés. » Écoutez, Margaritinna, j’ai un mot à vous dire, » et, tout en prononçant ces paroles, il lui met l’anneau au doigt. Comment croit-on que se termine en définitive la chanson ? Par des plaintes contre le pays, contre la ville, où l’on ne trouve ni prêtre, ni religieux, ni confesseur, mais seulement des jeunes filles qui font l’amour.

C’est là en effet qu’en reviennent toujours les chansons de l’Italie. La bouche a beau parler légèrement des choses saintes ; le cœur, la tête, l’imagination restent profondément catholiques. Pour montrer du reste comment l’idée catholique se mêle aux préoccupations qui en paraissent le plus éloignées, il suffit de rappeler cette Chanson du Printemps, qui, au commencement de l’année 1861, était répétée sur tous les points de la péninsule et des îles :

Garibaldi è in Caprera Sperando la primavera…

« Au mois d’avril, il mettra son cheval sur la route, — et chacun sera prêt pour le grand bal. — Nos ennemis ne pourront pas résister à cet homme envoyé par Jésus-Christ. »


III

Une singularité a frappé tous ceux qui se sont occupés de la poésie populaire italienne, c’est l’absence presque complète, si ce n’est en Piémont, de chansons narratives, soit historiques, soit romanesques, comme les pays du nord et même l’Espagne en présentent un si grand nombre. Il semble que ce genre ne soit pas, à proprement parler, d’origine ni de culture italiennes, car le peu qu’on trouve de ces chansons est presque toujours emprunté au Languedoc, à la Provence, quelquefois à la Catalogne, enfin à ce groupe néo-latin et méridional qui offrait au moyen âge une espèce de fonds commun pour la langue, le rhythme et les traditions. Quelle qu’en soit la cause, le fait est constant et avoué par les Italiens eux-mêmes, M. Tigri le reconnaît pour la Toscane, M. Cantù d’une manière encore plus formelle pour l’Italie entière : le canzoni ilaliane sono tutte domestiche, pochissime romanzesche, ancor meno istoriche. M. Marcoaldi

  1. Ce qu’il y a de singulier, c’est que ce détail se retrouve mot pour mot dans une ballade danoise. Une jeune fille qui veut délivrer son frère prisonnier « va à l’écurie et regarde tous les chevaux. Elle regarde le brun, elle regarde le gris, elle met la selle sur le meilleur de tous. » Voyez la Délivrance du captif dans les Chants populaires du Nord recueillis par M. Marmier.