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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/354

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dans la bouche du peuple, et auxquelles des formes grammaticales plus ou moins rapprochées du français contribuent encore à donner un air de famille.

Le Prince Raymond retrace une aventure bien connue de nos campagnes sous une forme maladroitement rajeunie et sous le titre d’Adélaïde et Ferdinand, aventure dont le répit s’appelle en Normandie Marianson ou les Trois Anneaux, et se retrouve en Suisse et en Provence, sans parler d’un pastiche que M. Hoffmann de Fallersleben a composé en vieux hollandais sur le même sujet. M. de Beaurepaire, dans son Etude sur la poésie populaire en Normandie, assure que le souvenir de la châtelaine malheureuse reste attaché à la Tour Couronnée d’Alençon. À Berne, la femme du sire de Vanel est l’héroïne de la ballade. M. Nigra, d’après les noms et les localités, incline à croire cette chanson d’origine provençale. Un chevalier revenant dans son château, où il a laissé sa jeune femme, rencontre un seigneur félon qui se dit aimé d’elle, et pour preuve montre ses anneaux de mariage qu’il a fait imiter. L’époux, transporté de fureur, lance contre terre l’enfant que lui présente Marianson (ce nom est conservé dans la version piémontaise), et, la prenant elle-même par les cheveux, il l’attache à la queue de son cheval. Cependant les vrais anneaux lui sont représentés, et il meurt de douleur en formulant cette espèce de conclusion morale :

Per una lingua che m’ha tradito,
Gli è in tre che bisogna morire !

Les nombreuses versions de cette romance se suivent pas à pas et se complètent l’une par l’autre. Là où la canzone piémontaise s’exprime ainsi :

Su tutte le rive, in tutte le siepi
Scorre il sangue della Marianson,


la romance française reproduite par Bouchaud[1] dit plus énergiquement peut-être :

N’y avait arbre ni buisson
Qui n’eût sang de Marianson,


et ce trait est reproduit presque littéralement dans la complainte franco-suisse, assez ridicule du reste, insérée dans la Suisse pittoresque, publication italienne de M. Tullio Dandolo, dans la Complainte de la Croix pleureuse, citée et un peu arrangée par Emile Souvestre, enfin dans une ballade danoise traduite par M. Marmier ; mais il faut convenir avec M. Nigra que la canzone piémontaise est en général plus belle, plus naïve, plus voisine de la rédaction originale. On y trouve de ces détails saisissans qui révèlent une première

  1. Essai sur la Poésie rhythmique, Paris, 1763.