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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/358

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La montagne déserte n’a plus de sourires pour les pauvres délaissées : « cette vallée me paraît plongée dans les ténèbres, — et je n’y vois plus s’y lever le soleil. » Elles demandent des nouvelles des absens aux oiseaux, aux fleurs, aux eaux : « Ramier, qui as fait ton nid dans la montagne, donne-moi des nouvelles de mon amant. » Et au moment du retour il faut voir comme les gens de la plaine sont congédiés et comme toutes les préférences sont pour les émigrans.

Ragazze, son tornati i maremmani :
Bisogna licenziare i contadini.

Pourtant, il faut l’avouer, ces accens intimes et pénétrans sont rares dans les manifestations poétiques de l’amour italien. Cette poésie chez eux est plutôt de tête que de cœur. L’amour allemand par exemple, plus concentré, va quelquefois jusqu’à la violence des appétits grossiers ; mais, lors même qu’il ne franchit pas certaines limites, il reste plus profond et plus passionné, il touche les fibres les plus intimes du cœur. L’amour toscan est à la fois plus expansif et plus respectueux. Le type germanique de Marguerite n’a pas d’analogues parmi les montagnards de l’Apennin, et leurs rispetti, si chastes et si retenus, rougiraient de lutter avec les chants plus ardens des minnesingers. Ils se rapprochent davantage des troubadours, tant par le culte exalté de la femme que par leur tendance à subtiliser la tendresse. Chez l’Italien, la volupté est tout à la surface, et l’imagination se substitue facilement aux sens. Sous ce beau ciel, sur cette terre riante, il y a comme une molle caresse qui fait que la fantaisie se complaît et que l’amour s’attarde dans les images extérieures du beau. Un amant vante les beaux yeux et les douces paroles de sa maîtresse à peu près comme il parlerait des spectacles de la nature. Chez ce peuple artiste, les métaphores brillantes, les images hardies et parfois hasardées font ressembler la chanson à ces paysannes de la campagne de Rome, qui, dans leur parure de fête, mêlent aux fleurs et aux baies rouges, dont la nature seule fait les frais, des bijoux, des pendans d’oreilles et des anneaux d’or. La limpidité du ciel se réfléchit dans ces chants qui se répandent gais, ouverts, pétulans, variés, sans langueur, et qui n’admettent aucun sujet de tristesse, à moins qu’il ne soit clair et précis. L’Italien, en qui tout est extrême, ne connaît pas les nuances et les demi-teintes du cœur, pas plus que le ciel de l’Italie ne connaît l’atmosphère vaporeuse et les longs crépuscules du nord.

Bien que l’amour se retrouve au fond de la plupart des chants italiens, cependant il affecte plus spécialement certaines formes. M. Cantù paraît croire que le sonnet et la canzone à la façon de Pétrarque