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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/457

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la paix de la religion et pour la philosophie que M. Turgot soit dans le ministère. M. de Maurepas et M. Turgot empêcheront sûrement le mal et feront tout le bien qu’ils pourront. Ce M. Turgot surtout, qui est venu autrefois aux Délices, est un homme très éclairé qui pense en tout comme vous. Nous n’avons qu’à bénir Dieu et à vivre.

« VOLTAIRE. »

« 5 juillet 1775.

« Pardon, monsieur, mille pardons ! Je ne retrouve que dans ce moment-ci votre billet du 25 juin. Je me hâte de réparer cette méprise et ce temps perdu. Je me hâte surtout de vous remercier de tout ce que vous me dites. Il y a longtemps que je sus l’emprisonnement du pasteur dauphinois. M. Pomaret m’en écrivit, et sur-le-champ je suppliai Mme la marquise de Clermont-Tonnerre, gouvernante du Dauphiné, de vouloir bien, interposer ses bontés et son autorité. J’ai envoyé la réponse de Mme de Tonnerre à M. Pomaret.

« Vous avez bien raison, mon très cher philosophe, de me dire qu’il faut que j’achève ma vie et que je meure en terre libre. Vos offres me pénètrent le cœur. Nous en parlerons plus au long quand j’aurai la consolation de vous voir.

« Je viens d’obtenir du roi de Prusse une assez belle place pour ce jeune homme que vous avez pu voir chez moi. Il n’aura pas besoin de demander des grâces en France à des persécuteurs et à des bourreaux. Le sang du chevalier de La Barre retombera enfin sur la tête des monstres qui l’ont répandu.

« Je vous embrasse les larmes aux yeux, mon cher philosophe.

« VOLTAIRE. »

« Je vous renvoie, mon cher philosophe, la lettre de votre grand-vicaire. J’y joins un imprimé que vous serez peut-être bien aise de garder. J’en ai reçu un exemplaire de la part de l’avocat. Cette pièce me parait ce qu’on pouvait faire de mieux en faveur de la loi naturelle contre la loi arbitraire du despotisme. Il me semble que les choses sont bien changées depuis l’horrible aventure des Calas ; l’excès du fanatisme a servi enfin à faire triompher la raison. On aura beau appeler d’un jugement si juste ; les hommes vertueux et instruits qui composent ce conseil casseraient plutôt les lois barbares qui subsistent encore.

« Je suis bien étonné qu’un homme qui paraît plein d’esprit et de goût ait pu se tromper à ces misérables lettres imputées au bon pape Ganganelli. Chaque ligne en décèle le faussaire. On sait assez que c’est un nommé Caraccioli, né Français, qui a pris un nom italien. C’est lui qui avait fait, il y a quelques années, l’histoire de Mme de Pompadour. Il vit depuis longtemps de ses mensonges littéraires. Ces sottises trompent quelque temps les étrangers et les provinciaux, mais elles tombent bientôt dans l’éternel oubli qu’elles méritent. Je ne suis point du tout de l’avis de votre vicaire-général, quelque respect que j’aie pour son esprit et pour sa science. On ne veut point du tout détruire ce que vous savez ; ce qui est fondé sur beaucoup d’argent et sur beaucoup d’honneurs est fondé sur le roc. On prétend seulement adoucir l’esprit de ceux qui jouissent de ces honneurs et de cet argent. On a commencé ce grand ouvrage, et on espère qu’il s’achèvera de lui-même.

« VOLTAIRE. »