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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/483

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chose s’il est facile et s’il est agréable de n’être plus rien. Toute la question de Joseph Karam est là. Il n’a pas été assez tranquille pour rassurer ses rivaux et ses ennemis, qui savaient son influence réelle ; il n’a pas été assez actif et assez remuant pour se défendre. Il a fait trop et trop peu. Quoi qu’il en soit, comme on assure que sa prison à Constantinople n’est pas un cachot, son exil fait pour lui l’effet de cette retraite qu’il n’a pas su garder. Il est en disponibilité. Il y a en lui assez d’indigène, assez de démocrate, assez de Français, pour que ces qualités, qui ont fait sa perte récemment, fassent un jour sa force, et que Karam soit rappelé comme l’homme qui représente le mieux le Liban nouveau, après avoir été éloigné comme l’homme qui empêchait le Liban nouveau de se former.

Il ne faut pas que l’arrestation de Joseph Karam, qui n’est qu’un épisode de la question du Liban, nous fasse oublier les deux principes fondamentaux de l’article 15 du règlement organique : — l’exclusion des troupes turques du Liban, — l’armement des chrétiens ou la formation d’une gendarmerie mixte dans laquelle les chrétiens doivent avoir la majorité. Les deux principes se tiennent. Les chrétiens doivent être armés parce que les Turcs doivent être exclus, et qu’il faut dans le Liban un corps armé afin de maintenir l’ordre. Jusqu’ici, ces deux principes fondamentaux de la nouvelle constitution du Liban sont ouvertement violés.

L’Europe semble avoir oublié que l’admissibilité des chrétiens dans le service militaire est un des principes que le traité de Paris de 1856 a proclamés. Depuis ce traité, les chrétiens en Orient ont le droit de porter les armes et d’être élevés, comme tous les autres sujets turcs, aux emplois militaires. Pourquoi ce principe n’est-il pas appliqué ? Pourquoi a-t-on permis à la Turquie de le détruire par l’impôt d’exonération et de substituer des contribuables à des conscrits ? Le règlement organique du Liban avait, conformément aux principes du traité de Paris, établi pour la montagne une gendarmerie mixte. Cette gendarmerie mixte n’est pas formée. Les chrétiens sont désarmés, les soldats turcs envahissent ou entourent le Liban. Qui peut douter qu’il n’y ait là de la part de la Porte-Ottomane un plan formé de ne jamais permettre aux chrétiens de porter les armes, soit comme sujets directs du sultan, soit comme vassaux plus ou moins indépendans ? Or, en Orient plus que partout ailleurs, quiconque est désarmé est sans droits.

Comme j’ai souvent réclamé pour les chrétiens d’Orient ce droit de porter les armes et d’être admissibles aux emplois militaires que leur assurait le traité de Paris, je me défie quelque peu de moi-même, et je cherche sur ce point le témoignage des Européens qui ont récemment parcouru l’Orient ou qui l’habitent. Si ces Européens sont des Anglais, leur parole n’en a que plus de prix à mes