Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/492

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de trop médire de ces chefs de bande, et je me défierais des voyageurs qui les maudissent ; mais qu’attendre de ces pillards sans ambition et sans prévoyance ? La civilisation n’a rien à en espérer. La bande pillarde et vagabonde est un des plus anciens faits de l’histoire d’Orient. Il sort parfois de ces bandes des fondateurs d’empire, et je crois que Ninus, Arsace, Cyrus dans l’antiquité, ne furent d’abord que des chefs de bande ; seulement ils ont conçu la pensée de faire plus que de parcourir le désert en vainqueurs vagabonds. À prendre les témoignages des voyageurs les plus récens, il ne semble pas que parmi les chefs de bande qui maîtrisent et ravagent la Syrie et la Palestine, il se prépare aucun Cyrus, aucun Méhémet-Ali. Ils pillent pour s’enrichir, voilà toute leur politique, et de même que les pachas ne songent dans leurs provinces qu’à faire vite la plus grosse fortune possible, de même qu’à Constantinople les ministres n’ont pas d’autre souci et emploient pour y réussir la ruse et l’intrigue, de même dans le désert, où la ruse et l’intrigue ne sont pas de mise, les chefs de bande s’enrichissent par le brigandage. Pachas, ministres, chefs de bande, chacun dans cet empire qui s’écroule cherche pour ainsi dire à prendre, selon la fable, sa part du dîner de son maître, ne pouvant plus le défendre. Quelqu’un qui a bien vu Constantinople, et qui a bien observé et de haut le gouvernement ottoman, me disait qu’à Constantinople, quand une maison brûle, il y a parmi ceux qui viennent au secours plus de pillards que de travailleurs, et il assurait que c’était là l’image du gouvernement ottoman.

On voit contre quels dangers les chrétiens d’Orient demandent qu’on les laisse se défendre, et quel besoin ils ont de s’organiser militairement. Si l’Europe ne veut pas que la Syrie tombe de plus en plus dans l’anarchie et dans la misère, si elle ne veut pas que le désert s’avance de plus en plus vers la Méditerranée, il faut qu’elle protège les chrétiens de la Syrie et du Liban par une occupation européenne, ou qu’elle leur permette de se protéger eux-mêmes par une organisation militaire. L’Europe n’a pas voulu exercer la protection par l’occupation. Elle a voulu que la France évacuât la Syrie, quand l’œuvre d’humanité que nous venions accomplir était à moitié faite. Elle s’est exposée à ce que les chrétiens de Syrie disent partout avec tristesse : « L’Europe a empêché la France de nous sauver. » Eh bien ! soit ; mais alors que l’Europe au moins ne souffre pas que la Turquie s’oppose à ce que les chrétiens s’arment et s’organisent militairement sous la suzeraineté du sultan ; qu’elle ne laisse pas abolir le règlement organique du Liban, à peine fait, à peine signé ; qu’elle le maintienne dans l’article le plus significatif et le plus efficace ; qu’elle veille à la formation de cette gendarmerie chrétienne que prescrit l’art. 15.