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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/504

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que c’est un principe essentiel de notre droit politique qui est violé par notre occupation de Rome, le principe d’après lequel les peuples s’appartiennent à eux-mêmes, et ne sauraient être considérés comme la propriété d’un prince. Ce n’est point non plus une question de sentiment qui nous enchaînera toujours à la protection de la papauté temporelle. M. Billault s’est bien écrié, dans un mouvement généreux, que la loyauté et l’honneur feraient un devoir au gouvernement de la France de ne point abandonner le plus humble, le plus petit des souverains qu’il aurait protégé pendant dix ans, lors même que la question religieuse ne. serait pas en jeu. La politique française a prouvé cependant qu’elle savait résister à des entraînemens de ce genre. Dans quelle occasion en effet, l’élan de M. Billault eût-il été mieux placé qu’à l’époque où, sous les yeux de notre garnison de Rome, l’armée italienne put envahir et conquérir les Marches et l’Ombrie ? Ainsi nous sommes retenus à Rome, non par des principes, non même par de purs sentimens ; nous y restons pour des motifs élevés sans doute, mais qui, pour parler le langage positif de la politique, sont uniquement puisés dans nos convenances. Nous y sommes parce que nous y sommes, et nous y resterons tant qu’il nous plaira.

À notre avis, les déclarations dont M. Billault a été l’organe sont bien moins éloignées de la thèse vigoureusement soutenue par M. Jules Favre que de l’opinion exprimée par M. Relier. L’honorable député catholique a prononcé dans cette discussion un discours dont la forme nous a séduits, mais dont aucun argument ne nous a persuadés. Personne n’approche plus, dans notre corps législatif, du bon style de l’éloquence politique que l’honorable M. Relier. Comme manœuvre oratoire, son discours a réussi, car il a contraint le ministre sans portefeuille à exposer avec une chaleur et une clarté imprévues la politique du gouvernement vis-à-vis de Rome. Si M. Keller est un de ces esprits élevés qui placent les principes au-dessus des faits, son seul succès aura été de se convaincre qu’il n’y a pas sur la question romaine de principes communs entre le gouvernement et lui. S’il est au contraire un de ces catholiques utilitaires et matérialistes en politique dont M. Ollivier a signalé avec à-propos le scepticisme, il doit être plus satisfait encore, car ce qui suffit à ces catholiques, c’est que le fait présent soit réservé et préservé, et M. Billault, en annonçant le séjour indéfini de nos troupes à Rome, a dû combler leurs vœux. Pleins d’estime pour le talent de M. Keller, nous n’avons éprouvé qu’un regret plus vif à le voir, dans une péroraison trop apprêtée, travestir la révolution en une figure de rhétorique. Que signifient ces abstractions commodes où l’on personnifie arbitrairement les doctrines et les politiques que l’on déteste ? M. de Maistre, s’impatientant contre les déclamateurs du XVIIIe siècle qui parlaient à propos de tout de la nature, leur demandait avec un brutal bon sens : Quelle est cette femme ? Ne pourrait-on pas jeter en se moquant la même question à ces étroits rhétoriciens qui font de la révolution, c’est-à-dire