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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/553

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Il était encouragé dans ces projets par Ferdinand VII, qui lui avait secrètement écrit qu’il se disposait à fuir l’Espagne pour venir s’établir à Mexico, où il se flattait de trouver, au milieu de sujets plus dévoués que ceux de la Péninsule, un asile contre le génie de la révolution[1]. Le colonel don Augustin Iturbide, choisi par le vice-roi pour l’œuvre réactionnaire, était un créole qui avait donné des gages multipliés à la cause de la mère-patrie pendant le cours de la guerre contre Hidalgo et Morelos. On citait de lui non-seulement de grands faits d’armes, tels que ceux de Valladolid et de Puruaran, mais aussi des actes d’une révoltante cruauté. En 1814, pour célébrer dignement le vendredi saint, après un combat où il avait eu l’avantage à Salvatierra, il avait imaginé de faire fusiller ce jour-là trois cents prisonniers, sous prétexte qu’ils étaient excommuniés, car les autorités espagnoles du Mexique employaient les armes spirituelles en même temps que le sabre, la mousqueterie et le canon pour soumettre les indépendans. M. Ward, qui en sa qualité de chargé d’affaires de l’Angleterre était en position d’être bien informé, assure que la dépêche adressée au vice-roi par Iturbide, pour lui annoncer cet acte d’une bigoterie féroce, existait de son temps dans les archives de Mexico. En 1820 Iturbide, de même que les autres créoles qui s’étaient rangés d’abord sous le drapeau de l’Espagne, était plus qu’ébranlé. Dans les premières années de la lutte de l’indépendance, le sentiment de la conservation avait rattaché un grand nombre de propriétaires créoles à la cause de la mère-patrie, malgré les griefs légitimes qu’ils avaient contre elle. M. de Humboldt, qui a observé l’Amérique espagnole en philosophe non moins qu’en naturaliste, écrivait en 1803 : « Depuis 1789 la crainte qu’inspire aux blancs et à tous les hommes libres le grand nombre de noirs[2] et d’Indiens arrête les effets de leur mécontentement. » Les massacres tolérés par Hidalgo ou ordonnés par lui avaient augmenté ces appréhensions des blancs et refroidi leur zèle pour l’émancipation; mais en 1820 l’amour de l’indépendance nationale avait enfin surmonté tout autre sentiment. Iturbide suivit le torrent de l’opinion avec la pensée de le diriger; il n’est pas interdit de supposer qu’il entrevit dès lors la chance de faire tourner le mouvement à son avantage personnel. Il reçut les confidences du vice-roi en serviteur zélé, de manière à l’endormir dans une sécurité complète, et alla se placer à la tête des troupes que lui confiait

  1. M. Lucas Alaman donne cette lettre dans son histoire. La famille d’Apodaca a nié qu’elle fût parvenue au vice-roi, et même que celui-ci eût voulu organiser la contre-révolution. M. Alaman publie cette réclamation dans un chapitre additionnel.
  2. Cette observation de M. de Humboldt s’applique à l’Amérique espagnole en masse, et non pas au Mexique spécialement. Dans le Mexique en particulier, le nombre des noirs était fort limité.