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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/567

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constitue pas sa fortune entière, il représente du moins presque toujours une partie importante de son capital d’exploitation.

A vrai dire cependant, le cultivateur néglige fort le côté scientifique de la question. Peu lui importent les divisions basées sur des différences anatomiques, les ordres, les familles et les genres. Théoriquement, les agronomes distinguent en bêtes de rente et en bêtes de travail les animaux domestiques; mais comme cette classification n’est pas toujours satisfaisante[1], et comme le produit net (le bénéfice) est en fin de compte le seul but que se proposent les cultivateurs, ceux-ci ne s’arrêtent guère à d’aussi subtiles définitions. Ils diviseraient plus volontiers tous les animaux de la création en animaux utiles, animaux inutiles et animaux nuisibles. Peut-on néanmoins affirmer avec certitude qu’un être quelconque auquel Dieu a donné la vie est inutile sur la terre? Dans le rôle providentiel des créatures, les apparences sont souvent trompeuses. Malgré le grand nombre de lapins, de fouines et de rats dont il nous délivre, les quelques poules qu’il dérobe font qualifier le renard de bête malfaisante; mais on aurait tort d’estimer vraiment nuisibles tous les animaux dont on dit du mal. Le moineau par exemple prélève sur nos récoltes une dîme qui nous irrite; il nous rend pourtant d’indispensables services en faisant une guerre acharnée aux insectes qui détruisent les moissons, et qui sont, eux, par leur nombre infini, la prodigieuse rapidité de leur multiplication et leur petitesse même, nos plus dangereux ennemis. Ainsi encore se comportent l’engoulevent, le hibou, la chauve-souris, le hérisson et mille autres pauvres bêtes que leur triste figure ou quelque sot préjugé rend trop fréquemment nos victimes[2]. Il ne faut pas croire en effet que l’on tienne à l’état domestique toutes les bêtes qui sont utiles, et que l’on doive détruire sans pitié toutes celles qui vivent à l’état sauvage. Plusieurs de ces dernières sont nos coopérateurs fidèles, et, en les tuant impitoyablement à la chasse, nous agissons parfois contre nos propres intérêts.

Quoi qu’il en soit, l’industrie agricole ne donne une attention spéciale qu’à l’entretien des animaux utiles réduits en domesticité, et c’est de ceux-là seulement que nous avons à parler après quelques considérations communes aux deux groupes, — bêtes de travail et bêtes de rente, — dont le premier nous occupera d’abord.

  1. En effet, la jument qui laboure et qu’on fait pouliner est en même temps bête de travail et bête de rente; le bœuf est tantôt bête de travail et tantôt bête de rente, selon sa destination ; la vache et le mouton sont bêtes de rente quand on les conserve plusieurs années en vue du lait ou de la laine, et ils deviennent bêtes de spéculation ou de profit quand on se borne à les acheter pour les engraisser et les revendre, etc.
  2. Voyez à ce sujet l’intéressant travail de M. J. Clavé, la Vie animale dans les forêts de la France, dans la Revue du 15 août 1861, et le rapport fait au sénat le 25 juin 1861 par M. Bonjean.