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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/618

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tère et les motifs qui l’inspirèrent. Il n’en fut jamais au monde de plus purs, de plus nobles, de plus désintéressés. L’histoire prononcera sur cette femme héroïque, et moi qui fus son amie, je me ferai gloire de cette amitié jusqu’à mon dernier soupir ! »


Je joins aux souvenirs de Mme de M… la copie textuelle des deux seules lettres de son amie qu’elle ait pu soustraire aux alarmes de sa mère, qui brûla toutes les autres. L’orthographe et la ponctuation, souvent défectueuses, ont été rectifiées. Rien n’était moins rare au siècle dernier que cette incorrection, même chez les femmes bien élevées.


LETTRE DE CHARLOTTE CORDAY À Mlle L…, DEPUIS Mme DE M…
Mars 1792.

« Est-il possible, ma chère amie, que pendant que je murmurais contre votre paresse, vous fussiez la victime de cette cruelle petite vérole. Je crois que vous devez être contente d’en être quitte, et de ce qu’elle a respecté vos traits ; c’est une grâce qu’elle n’accorde pas à toutes les jolies personnes. Vous étiez malade, et je ne pouvais le savoir. Promettez-moi, ma très chère, que si cette fantaisie vous reprend, vous me le manderez d’avance, car je ne trouve rien de si cruel que d’ignorer le sort de ses amis. Vous me demandez des nouvelles ; à présent, mon cœur, il n’y en a plus dans notre ville ; les âmes sensibles sont ressuscitées et parties ; les malédictions que vous avez proférées contre notre ville font leur effet ; s’il n’y a pas encore d’herbe dans les rues, c’est que la saison n’en est pas venue. Les Faudoas sont partis, et même une partie de leurs meubles. M. de Cussi a la garde des drapeaux ; il épouse un peu Mlle Fleuriot. Avec cette désertion générale, nous sommes fort tranquilles, et moins il y aura de monde, moins il y aura de dangers d’insurrection. — Si cela dépendait de moi, j’augmenterais le nombre des réfugiés à Rouen, non par inquiétude, mais, mon cœur, pour être avec vous, pour profiter de vos leçons ; car je vous choisirais bien vite pour maîtresse de langue, anglaise ou italienne, et je suis sûre que je profiterais avec vous de toute manière. Mme Bretteville, ma tante, vous remercie bien de votre souvenir et du désir que vous avez de contribuer à son repos ; mais sa santé et son goût ne lui permettent aucun soulagement : elle attend avec confiance les événemens futurs, qui ne paraissent pas désespérés ; elle vous prie de témoigner à Mme L…[1] toute sa reconnaissance de son souvenir, et de lui dire que personne ne peut lui être plus sincèrement attachée ; elle vous regrette beaucoup l’une et l’autre, et se persuade,

  1. La mère de Mme de M…