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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/635

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d’être mal payés, rompaient leurs engagemens, afin d’en contracter de plus avantageux avec des troupes rivales ; d’autres se présentaient bientôt, mais moins habiles, moins exercés dans leur art, ils compromettaient la réputation de leur chef. Le public des premières places s’apercevait bien vite qu’on faisait passer sous ses yeux des débutans sans valeur ; les connaisseurs remarquaient que les chevaux usés avaient les jambes raides. Il est vrai que le gros public des foires admirait encore sans réserve cette troupe aux apparences trompeuses, qui défilait triomphalement sur les places, musique en tête, et paradait sur les carrefours en faisant reluire au soleil ses oripeaux fanés. La foule était loin de soupçonner les inquiétudes qui assiégeaient perpétuellement l’esprit du signer Barboso. Calme et majestueux en face du peuple assemblé, superbe en ses allures, emphatique dans ses gestes, le vieux bohémien semblait n’avoir d’autre souci que d’amuser les naïves populations au milieu desquelles il daignait planter sa tente.

Valentin n’avait jamais vécu que parmi d’humbles laboureurs. Il fut donc tout naturellement subjugué par l’ascendant que le chef de la troupe exerçait sur les jeunes gens assez simples pour se placer sous sa dépendance. De son côté, maître Barboso, comprenant le parti qu’il pouvait tirer de cet enfant soumis, docile, habitué à grimper sur les arbres et à franchir les fossés, prit à cœur de le dresser à toute sorte d’exercices. Il s’y entendait à merveille, ayant été lui-même un acrobate distingué avant de devenir directeur d’une troupe équestre. Aidé des leçons d’un tel maître, Valentin, qui ne manquait pas de dispositions naturelles, fit des progrès rapides dans l’art de sauter à pied et à cheval ; en peu de temps, son éducation fut complète.


III.

Quatre ans après sa fuite du château des Roches, le petit protégé de Mlle Du Brenois méritait d’être cité comme un écuyer accompli et comme un clown de première force. Si le signor Barboso eût compté dans sa troupe beaucoup de sujets aussi habiles que Fabricio, il aurait pu conjurer la mauvaise fortune contre laquelle il luttait vainement ; mais le succès dépend souvent des circonstances, et il arrive parfois que l’on trouve un échec là où l’on s’attendait à rencontrer un triomphe. Le signor Barboso en fit bientôt la cruelle expérience. Poursuivant le cours de ses pérégrinations, il venait de dresser son cirque sur le champ de foire d’une grande ville du midi. Une multitude de baraques couvrait la place, la concurrence était redoutable, et les frais absorbaient à peu près tout