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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/657

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I. — DU CARACTÈRE DES FÉES EN GÉNÉRAL ET DES FÉES FRANÇAISES EN PARTICULIER.

La France n’est décidément pas le pays du merveilleux. A part quelques places privilégiées ou maudites, le sol français est peu hanté par ces populations d’êtres invisibles qui pullulent en d’autres contrées : elles n’y trouvent ni des bruyères assez désertes pour leur permettre d’y tenir leur sabbat en toute sécurité, ni des forêts assez sombres et assez impénétrables pour leur offrir des abris tranquilles et qui puissent leur plaire. Quelques migrations de ces populations mystérieuses se sont cependant, à diverses époques, opérées sur le sol de la France, mais jamais les colonies de ces peuplades n’ont pu prospérer longtemps; les pauvres esprits étrangers y mouraient bientôt d’ennui, ou ne tardaient pas à déchoir de leur origine et à devenir aussi prosaïques que s’ils eussent été de simples mortels. Çà et là on rencontre pourtant des débris de ces peuplades, tristes, muets, comme s’ils étaient eux-mêmes ensorcelés, curieux pour le savant en ethnographie démoniaque, mais peu intéressans pour le poète et l’artiste. Ils forment encore une tribu puissante dans la vieille Armorique, où ils ont été mieux défendus qu’ailleurs par la solitude des guérets, les forteresses des pierres druidiques et les froids brouillards d’une mer fertile en naufrages; mais dans presque toute la France ils ne se présentent pour ainsi dire qu’à l’état d’exception, comme s’ils s’étaient égarés ou conservés par miracle, et réalisent à la lettre la fable de l’homme sauvage de la forêt des Ardennes ou l’histoire de Gaspard Hauser. Parfois un paysan attardé rencontre quelque farfadet sous la forme d’un mouton ou d’un veau qui ne lui inspire pas confiance, ou se heurte contre un nain bossu ou contrefait qui lui rappelle le tailleur de son village; l’esprit et l’homme se regardent et s’éloignent rapidement, car on ne saurait dire au juste quel est celui qui fait le plus de frayeur à l’autre. Il arrive de loin en loin à un braconnier de tirer inutilement un lièvre ou un lapin magique, qui semble se moquer de lui, ou d’entendre, lorsqu’il se repose dans un fourré où ne pénètrent pas les gardes champêtres, passer au-dessus de sa tête les aboiemens de la chasse volante qui poursuit, dit-on, les âmes des petits enfans morts sans baptême. Les pêcheurs des côtes ont surpris parfois quelque être bizarre qui se chauffait au soleil et qui plongeait sous l’eau à leur approche, ou ont retiré de leurs filets quelque poisson merveilleux. Néanmoins ces aventures et ces bonnes fortunes sont si rares que le souvenir s’en conserve dans les familles rustiques par la tradition, et que