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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/666

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dans les fables de La Fontaine : le récit est court sans précipitation, et pour ainsi dire rapide avec lenteur; nous avons le temps de tout apercevoir, le coin du bois où apparaît le loup, le paysage dans lequel s’attarde le Petit Chaperon-Rouge, même la figure de la mère-grand. La Barbe-Bleue est un beau récit, très dramatique et vraiment émouvant, même lorsqu’on a depuis longtemps oublié les faciles terreurs de la première enfance. Il est impossible de ne pas ressentir une impression de pénible anxiété lorsqu’on interroge avec la sœur Anne cet horizon où l’on n’aperçoit rien que le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie. Tels qu’ils sont, ces petits contes ont survécu et survivront encore à bien des œuvres pompeuses; le coup de baguette d’un enchanteur modeste et bourgeois, mais d’un enchanteur réel, a touché tous ces enfans déguenillés de la tradition orale, tous ces nourrissons assez souvent chétifs de la légende populaire, et les a transformés.

Ces petits contes ont encore un autre caractère fort singulier, par lequel ils révèlent leur naïveté et leur origine populaire. Nous avons dit que la moralité en était indirecte et enveloppée, comme doit l’être celle de toute véritable œuvre d’art; mais nous pourrions ajouter que cette moralité est peu importune et peu sévère, et même que la plupart du temps elle brille par son absence. Nul doute que, s’il eût tiré ses contes de son propre fonds au lieu de les demander aux souvenirs des bonnes gens de son voisinage, Perrault eût plus fortement insisté sur ce point de l’enseignement moral; il se fût trop souvenu qu’il écrivait pour le plaisir et l’éducation de ses enfans, et malgré lui eût fait acte de pédagogue et de moraliste. Heureusement il s’est contenté de les puiser à cette source de la tradition populaire qui jaillit de la nature même et coule librement, et ils ont gardé de cette origine la fraîcheur et la naïveté. Comme toutes les œuvres naïves, ils se font donc remarquer par une grande insouciance de la morale sociale; ils se contentent d’être vrais et conformes au spectacle du monde et de la vie. A proprement parler, les personnages de Perrault ne savent même pas ce que c’est que la moralité ou l’immoralité; ils savent ce que sont les choses qu’on appelle finesse, bonté, méchanceté, prudence, curiosité. Et ne croyez pas que cette insouciance de la moralité nuise en quoi que ce soit à leur honnêteté; ils sont mieux que moraux, puisqu’ils sont naïfs; ils sont innocens et candides. Ils abordent les sujets les plus scabreux et mettent en scène des personnages légèrement équivoques; mais, comme ils ne songent pas à mal en effleurant le scandale, ils ne scandalisent pas un seul instant l’imagination du lecteur, ils ignorent les lois de la morale sans l’enfreindre et sans l’offenser. Dans ces contes destinés à l’amusement des enfans,