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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/675

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sont elles-mêmes des contes, et des contes vraiment féeriques[1]. Hamilton n’a pu si bien se faire Français qu’il ne soit resté en lui beaucoup du compatriote de Shakspeare. Aussi porte-t-il dans la parodie une imagination toute particulière, riche, abondante, pleine de fleurs et de diamans. Il est difficile d’imaginer un pareil mélange d’inventions absurdes et de détails gracieux, voulez-vous avoir une idée de cette profanation spirituelle et de ce sacrilège charmant? Imaginez que, dans une conversation sur les merveilles des contes arabes entre femmes de la cour et du beau monde d’alors, l’une d’elles prend tout à coup la parole pour rabaisser l’enthousiasme général et démontrer l’absurdité et la puérilité de pareilles inventions. — Qu’est-ce, dit-elle, que toutes ces merveilles? — Et à mesure qu’elle les nomme, les merveilles s’accomplissent l’une après l’autre, à l’étonnement de l’assemblée. — Qu’est-ce que ces parfums ont de plus enivrant que ceux que nous connaissons? Et soudain des courans de parfums circulent rapidement dans l’air, comme s’ils étaient apportés par quelque personnage invisible. Cette musique qu’on nous dit si délicieuse, et dont la propriété la plus certaine est d’endormir infailliblement le personnage qui l’écoute, vaut-elle seulement la musique d’un menuet léger et la mélodie d’une gaie chanson? Et aussitôt on entend une symphonie comique et rieuse d’instrumens baroques et charivariques, tintemens de chapeaux chinois, bruits de triangle, ronflemens de tambours de basque, tapages de cymbales. Tous ces prodiges, continue-t-elle, consistent simplement à mettre l’absurde à la place du vrai. Supposez que le petit chien que voici soit aussi farci de diamans qu’il serait farci de puces, s’il était moins soigneusement lavé et peigné, et vous aurez un résumé de toutes les merveilles ridicules que la féerie a enfantées et enfantera jamais. Et cependant le petit chien, comme pour obéir aux paroles de la belle dame, secoue de ses oreilles deux perles de l’orient le plus vif. On s’étonne sans comprendre, et l’on n’a le mot de l’énigme que lorsqu’un petit laquais, fait comme le gnome Poinçon du conte du Bélier, vient annoncer que les licornes de l’aimable ennemie des fées sont attelées. Cette railleuse était donc une fée elle-même, une fée corrompue par le monde, et préférant à

  1. Ces contes n’ont point tous la même valeur; mais dans le nombre il en est un, l’Histoire de fleur-d’Épine, qu’on peut hardiment présenter comme le plus beau conte de fées qu’on ait écrit en France. La raillerie y est si légère, si bien ménagée, si bien fondue avec la féerie, que, loin d’y nuire au merveilleux, elle ne fait qu’y ajouter une grâce de plus. Les autres sont très inférieurs, mais que de beaux détails au milieu du fatras d’absurdités volontairement entassées par l’auteur! Quel joli épisode par exemple que l’histoire d’Alboflède dans Zeneyde, cette jeune fille qui perd sa beauté pour l’avoir ignorée !