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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/714

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sistant au châtiment allégorique des spoliateurs du saint-siège, ce qui me charmait le plus dans cette incomparable fresque, c’étaient les femmes, les enfans, les hommes d’un dessin si splendide, d’une si ravissante beauté : je n’avais des yeux, je l’avoue, que pour chaque tête, chaque groupe en particulier, tandis que la composition, je m’en occupais à peine, ou plutôt elle me semblait un peu trop symétrique, coupée en deux parties trop justement égales et divisée par un vide d’une largeur démesurée. Or maintenant, tout au contraire, c’est la composition, c’est l’ensemble, c’est la grandeur de l’ordonnance qui me confondent d’admiration. J’en prise d’autant plus le savant équilibre et la clarté monumentale que je sors d’un spectacle plus confus et plus turbulent. Ce vide au milieu de la scène, ce vide qui m’étonnait, je le comprends, c’est le trait du génie. Non-seulement il sépare par une démarcation visible les êtres surnaturels qui accomplissent le miracle et les simples mortels qui le contemplent, non-seulement il exprime d’une manière saisissante le mouvement de recul, le refoulement précipité que le passage des trois anges vient d’imprimer à ce flot de peuple à la fois effrayé et criant anathème, mais l’intention principale de ce vide insolite est de dégager, de mettre en évidence, au cœur même de la composition, le grand-prêtre et l’autel, de faire ainsi bien voir que c’est au nom de l’autel et à la voix du grand-prêtre que la vengeance est descendue du ciel. Est-il une conception pittoresque plus éloquente, plus profonde et plus simple? Il n’y a pas jusqu’à ce Jules II apparaissant porté sur la chaise papale qui ne donne à l’œuvre tout entière un caractère unique d’originalité. C’est un acteur muet, ou plutôt ce n’est point un acteur. Ni le pontife, ni les hommes qui le portent ne prennent part à l’action; ils ignorent ce qui se passe autour d’eux et ne sont en communication qu’avec le spectateur. Ce sont de purs portraits, des armoiries vivantes. Comme les donateurs dans les tableaux du moyen âge, ils restent étrangers aussi bien à la partie humaine qu’à la partie mystique du tableau. L’usage de réunir ainsi dans un même cadre des portraits et des sujets de piété sans relation directe entre les deux ordres de personnages fut. comme on sait, longtemps universel, et il tombait à peine en désuétude quand Raphaël en cette circonstance se plut à le raviver: sorte d’innovation archaïque pleine de grandeur et d’à-propos. Aussi n’est-ce pas sans un certain sourire que vous aurez peut-être entendu de très habiles gens, des critiques en renom, prendre pour un anachronisme cette apparition de Jules II dans le temple de Jérusalem, et trouver fort mauvais, une fois l’invraisemblance admise, que le saint-père et son monde soient si maussades, si distraits, et ne daignent ni s’associer aux sentimens du peuple qui les entoure, ni même tourner les yeux sur le drame