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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/775

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française n’en pourra supporter, plus que la France, en définitive, n’en pourra payer directement ou indirectement avec les produits de son industrie et de son agriculture. Il ne faut donc pas se justifier des résultats de l’importation anglaise comme d’un malheur dont on voudrait repousser la responsabilité; il faut au contraire s’en applaudir comme d’un fait que l’on s’était proposé spécialement de réaliser dans l’intérêt des consommateurs français. Un autre exemple, et plus regrettable, de la difficulté qu’éprouvent nos néophytes de la liberté commerciale à s’assimiler la logique de la liberté économique, c’est le reproche adressé par M. Baroche à certains fabricans rouennais d’avoir revendu leurs cotons bruts au Havre, au lieu de les avoir employés dans leurs filatures. Politiquement, cet argument, qui pouvait donner à croire aux ouvriers qu’ils avaient été privés de travail par les calculs de spéculation de leurs patrons, était malheureux dans la bouche d’un orateur du gouvernement, dont le devoir est de concilier, au lieu de les aigrir, les rapports des diverses classes qui concourent à la production nationale; notre époque doit répudier des insinuations de ce genre et les laisser au triste temps où la tribune française retentissait de déclamations contre les accapareurs et le négociantisme. Au point de vue économique, le pire défaut de cette critique, c’est qu’elle n’a pas de sens. Suivant les chances de variation des prix, la balle de coton peut accomplir bien des voyages et passer par un nombre quelconque de mains; mais la balle de coton n’est en aucun cas l’objet imaginaire d’une spéculation chimérique, elle n’est pas une tulipe de Hollande ou l’action d’un crédit mobilier, elle ne s’évapore point : son sort fatal, quel que soit le nombre des échanges auxquels elle aura donné lieu, est d’arriver dans un court délai à la filature, et d’y fournir des salaires aux travailleurs qui la manipuleront. Elle est l’expression positive d’un véritable droit au travail dont il est impossible que l’ouvrier soit frustré. Pensons donc et parlons en libres échangistes, quand nous voulons défendre avec autant de succès que de zèle le libre échange.

Suivant nous, le principal titre des plans financiers de M. Fould à l’approbation publique était d’être inspirés par une pensée d’ensemble, et de présenter un système conforme à la véritable logique d’une bonne théorie de finances. L’idée-mère de ce système est celle-ci : l’état doit vivre sur son revenu, et l’on ne doit recourir à l’emprunt que dans les circonstances extraordinaires qui peuvent imposer au pays la nécessité de grands sacrifices. Équilibrer la dépense annuelle avec la recette annuelle, et ne point contracter en temps de paix, pour éteindre des découverts, de dette perpétuelle, l’accomplissement d’une telle résolution devrait devenir le point d’honneur de la France, comme il l’est de tout pays bien réglé. D’ailleurs le plan de M. Fould présente au gouvernement et au pays un dilemme d’un haut intérêt. Il leur dit : Ayez la sagesse d’être économes, réduisez vos dépenses; ou bien, si vous ne croyez pas pouvoir retrancher rien à vos dépenses, consentez à en faire les frais et à en porter la charge, taxez-vous,