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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/786

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joyeux et se précipitaient de toute la vitesse de leurs petites jambes ; la mère arrivait plus lentement et de la main agitait un des bouts de son écharpe couleur de pourpre. Nous vîmes M. Dominique prendre à son tour chacun de ses enfans dans ses bras. Ce groupe animé de couleurs brillantes demeura un moment arrêté dans le sentier vert, debout au milieu de la campagne tranquille, illuminé des feux du soir et comme enveloppé de toute la placidité du jour qui finissait. Puis la famille au complet reprit le chemin des Trembles, et le dernier rayon qui venait du couchant accompagna jusque chez lui ce ménage heureux.

Le docteur m’apprit alors en quelques mots que M. Dominique de Bray, — on l’appelait M. Dominique tout court en vertu d’un usage amical adopté par les familiarités du pays, — était un gentilhomme de l’endroit, maire de la commune, et qui devait cette charge de confiance moins encore à son influence personnelle, car il ne l’exerçait que depuis peu d’années, qu’à l’ancienne estime attachée à son nom ; qu’il était très secourable aux malheureux, très aimé et fort bien vu de tous, quoiqu’il n’eût de point de ressemblance avec ses administrés que par la blouse, quand il en portait.

— C’est un aimable homme, ajouta le docteur, seulement un peu sauvage, excellent, simple et discret, qui se répand beaucoup en services, peu en paroles. Tout ce que je puis vous dire de lui, c’est que je lui connais autant d’obligés qu’il y a d’habitans dans la commune.

La soirée qui suivit cette journée champêtre fut si belle et si parfaitement limpide, qu’on aurait pu se croire encore au milieu de l’été. Je m’en souviens surtout à cause d’un certain accord d’impressions qui fixe à la fois les souvenirs, même les moins frappans, sur tous les points sensibles de la mémoire. Il y avait de la lune, un clair de lune éblouissant, et la route crayeuse de Villeneuve, avec ses maisons blanches, en était éclairée comme en plein midi, d’un éclat plus doux, mais avec autant de précision, La grande rue droite qui traverse le village était déserte. On entendait à peine, en passant devant les portes, des gens qui soupaient en famille derrière leurs volets déjà clos. De distance en distance, partout où les habitans ne dormaient pas, un étroit rayon de lumière s’échappait par les serrures ou par les chattières, et jaillissait comme un trait rouge à travers la blancheur froide de la nuit. Les pressoirs seuls restaient ouverts pour donner de l’air au plancher des treuils, et d’un bout à l’autre du village une moiteur de raisins presses, la chaude exhalaison des vins qui fermentent, se mêlaient à l’odeur des poulaillers et des étables. Dans la campagne, il n’y avait plus de bruit, hormis la voix des coqs qui se réveillaient de leur premier