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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/799

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par lui-même. Auriez-vous eu la même franchise, ajouta-t-il, si vous aviez su que ces vers sont de moi ?

— Absolument, lui répondis-je un peu déconcerté.

— Tant mieux, reprit Dominique, cela me prouve qu’en bien comme en mal vous m’estimez ce que je vaux. Il y a là deux volumes de pareille force. Ils sont de moi. J’aurais le droit de les désavouer, puisqu’ils ne portent point de nom : mais ce n’est pas à vous que je tairai des faiblesses, tôt ou tard il faudra que vous les sachiez toutes. Je dois peut-être à ces essais manqués, comme beaucoup d’autres, un soulagement et des leçons utiles. En me démontrant que je n’étais rien, tout ce que j’ai fait m’a donné la mesure de ceux qui sont quelque chose. Ce que je vous dis là n’est qu’à demi modeste ; mais vous me pardonnerez de ne plus distinguer la modestie de l’orgueil, quand vous saurez à quel point il m’est permis de les confondre.

Il y avait deux hommes en Dominique, cela n’était pas difficile à deviner. « Tout homme porte en lui un ou plusieurs morts, » m’avait dit sentencieusement le docteur, qui soupçonnait aussi des renoncemens dans la vie du campagnard des Trembles ; mais celui qui n’existait plus avait-il du moins donné signe de vie ? Dans quelle mesure ? à quelle époque ? N’avait-il jamais trahi son incognito que par deux livres anonymes et ignorés ?

Je pris ceux des volumes que Dominique n’avait point ouverts : cette fois le titre m’en était connu. L’auteur, dont le nom estimé n’avait pas eu le temps de pénétrer bien avant dans la mémoire des gens qui lisent, occupait avec honneur un des rangs moyens de la littérature politique d’il y a quinze ou vingt ans. Aucune publication plus récente ne m’avait appris qu’il vécût ou écrivit encore. Il était du petit nombre de ces écrivains discrets qu’on ne connaît jamais que par le titre de leurs ouvrages, dont le nom entre dans la renommée sans que leur personne sorte de l’ombre, et qui peuvent parfaitement disparaître ou se retirer du monde sans que le monde, qui ne communique avec eux que par leurs écrits, sache ce qu’il est arrivé d’eux.

Je répétai le titre des volumes et le nom de l’auteur, et je regardai Dominique, qui se mit à sourire en comprenant que je le devinais.

— Surtout, me dit-il, ne flattez pas le publiciste pour consoler la vanité du poète. La plus réelle différence peut-être qu’il y ait entre les deux, c’est que la publicité s’est occupée du premier, tandis qu’elle n’a pas fait le même honneur au second. Elle a eu raison de se taire avec celui-ci ; n’a-t-elle pas eu tort de si bien accueillir l’autre ? J’avais plusieurs motifs, continua-t-il, pour changer de