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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/821

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Quant à Olivier, que je ne vous ai montré que sur les bancs, imaginez un garçon aimable, un peu bizarre, très ignorant en fait de lectures, très précoce dans toutes les choses de la vie, aisé de gestes, de maintien, de paroles, ne sachant rien du monde et le devinant, le copiant dans ses formes, en adoptant déjà les préjugés ; représentez-vous je ne sais quoi d’inusité, comme une ardeur un peu singulière, jamais risible, d’anticiper sur son âge et de s’improviser un homme à seize ans à peine, quelque chose de naissant et de mûr, d’artificiel et de très séduisant, et vous comprendrez comment Mme Ceyssac en fut charmée au point de pardonner à ses défauts d’écolier, comme au seul reste d’enfantillage qu’il y eut en lui. Olivier d’ailleurs arrivait de Paris, et c’était là la grande supériorité d’où lui venaient toutes les autres, et qui, sinon pour ma tante, au moins pour nous, les résumait toutes.

Aussi loin que je retourne en arrière à travers ces souvenirs si médiocres à leur source, si tumultueux plus tard, et dont j’ai quelque peine à remonter le cours, je retrouve à leur place accoutumée, autour de la table en drap vert, sous le jour des lampes, ces trois jeunes visages, sourians alors, sans l’ombre d’un souci réel, et que des chagrins ou des passions devaient un jour attrister de tant de manières : la petite Julie avec des sauvageries d’enfant boudeur, Madeleine encore à demi pensionnaire, Olivier causeur, distrait, quinteux, élégant sans viser à l’être, mis avec goût à une époque et dans un pays où les enfans s’habillaient on ne peut plus mal, maniant les cartes vivement, prestement, avec l’aplomb d’un homme qui jouera beaucoup et qui saura jouer, puis tout à coup, dix fois en deux heures, quittant le jeu, jetant les cartes, bâillant, disant : Je m’ennuie, et allant s’enfouir dans une profonde bergère. On l’appelait, il ne bougeait pas. À quoi pense Olivier ? disait-on. Il ne répondait à personne, et continuait de regarder devant lui sans dire un mot, avec cet air d’inquiétude qui lui-même était un attrait, et cet étrange regard qui flottait dans la demi-obscurité du salon comme une étincelle impossible à fixer. Assez peu régulier d’ailleurs dans ses habitudes, déjà discret comme s’il avait eu des mystères à cacher, inexact à nos réunions, introuvable chez lui, actif, flâneur, toujours partout et nulle part, cette sorte d’oiseau mis en cage avait trouvé le moyen de se créer des imprévus dans la vie de province, et de voler comme en plein air dans sa prison. Il se disait d’ailleurs exilé, et comme s’il eût quitté la Rome d’Auguste pour venir en Thrace, il avait appris par cœur quelques lambeaux d’une latinité de décadence qui le consolaient, disait-il, d’habiter chez les bergers.

Avec un pareil compagnon, j’étais fort seul. Je manquais d’air, et