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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/839

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renoncer à l’héritage paternel et à la pension de Jean de Witt[1], car je ne dois pas cesser de rapprocher ces deux frères jumeaux de la famille cartésienne, puisqu’ils ne cessent pas de se ressembler. Voici la lettre de Malebranche : «A l’égard des affaires que me laisse la mort de mon frère, écrivait-il à son ami l’abbé Barrand, je ne sais point de meilleur expédient pour m’en délivrer que de renoncer à sa succession. J’ai assez de viatique pour le chemin qui me reste à faire[2]. » Malebranche vécut encore douze ans après cette lettre. Sa mort est de 17J5, l’année même qui emporta Louis XIV. Nos documens nous fournissent ici quelques détails qui sont autant de traits de caractère.


« Le sentiment de ses vives douleurs, dit le père André, au lieu d’exciter ses plaintes, ne faisait le plus souvent que lui rappeler les idées qui lui étaient familières de la structure du corps humain. Tantôt il en comptait tous les ressorts, il en expliquait l’ordre, il en marquait l’usage, en montrant la sagesse infinie de celui qui les avait si bien ordonnés; tantôt il cherchait la cause de son mal par des raisonnemens physiques dont il n’interrompait le cours que pour y faire entrer quelque chose du Créateur... »

« Ce fut le samedi 17 juin 1715 que Malebranche ressentit les atteintes de sa dernière maladie. Il était à la campagne chez un ami de sa famille, le président de Metz, qui avait un château à la porte même de Paris, dans les environs de Villeneuve-Saint Georges. On se hâta de le transporter à l’Oratoire de la rue Saint-Honoré; il voulut qu’on le mît à l’infirmerie commune, parce qu’il y avait un autel... »


Il mourut dans la nuit du 13 octobre.


II.

Nous avons évité de rien dire des polémiques de Malebranche. C’est afin d’en parler plus à notre aise, car là est le seul événement qui ait agité sa vie, là aussi se montre à découvert tout un côté de son caractère. Il est assez étrange que ce méditatif, qui haïssait la discussion, ait passé la moitié de sa vie à discuter. Sa vraie passion et son vrai génie, c’était la méditation libre et solitaire, et il est certain qu’il n’avait ni le goût, ni le talent de la controverse. Une preuve entre autres, c’est que toutes les fois qu’on lui proposait des objections de vive voix, sa règle était de dire qu’on ne peut philosopher que par écrit. C’est fort bien; mais que Leibnitz ou Mairan[3] lui envoient par écrit des difficultés pressantes, il s’ex-

  1. Voyez la Vie de Spinoza par Colerus et l’appendice dans notre traduction, édit. de 1861, tome II, pages 16 et 49.
  2. Lettre du 23 février 1703, dans l’écrit de M. l’abbé Blampignon, page 23 de la correspondance inédite.
  3. Voyez deux correspondances curieuses de Malebranche, l’une avec Dortous de Mairan, publiée par M. Feuillet de Conches, l’autre avec Leibnitz, que nous devons à M. Cousin. Dans ses Causeries d’un Curieux, M. Feuillet nous promet de nouvelles lettres de Malebranche.