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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/841

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Nous ne parlerons que des deux principales polémiques, celle avec Bossuet et celle avec Arnaud, les seules qui reçoivent quelque jour nouveau des récens documens, les seules aussi qui aient de la grandeur et dont on puisse tirer quelque enseignement à l’usage de notre époque.

Bossuet, qui avait applaudi à la Recherche de la Vérité n’accueillit pas si bien le Traité de la Nature et de la Grâce. Sur le pur philosophique, il était assez coulant ; mais cette fois il s’agissait de la grâce, et en matière théologique Bossuet ne biaisait pas. Ecrivit-il sur son exemplaire du Traité les trois mots tant cités : Pulcha, nova, falsa ? Je n’affirme rien, quoique ces concises et expressives paroles soient dignes de lui ; ce qui est certain, c’est qu’il entra en défiance. Son langage extérieur fut modéré ; mais entre théologiens il se montra sévère jusqu’à la dureté, témoin sa lettre bien connue à l’évêque de Castorie, M. de Neercassel. Toutefois, avant de se prononcer publiquement, Bossuet exprima le désir de s’entretenir avec le père Malebranche afin de le ramener par une discussion amicale. Le père s’y refusa d’abord. Il fallut les instances réitérées du duc de Chevreuse pour le décider à voir Bossuet. Nous devons à M. l’abbé Blampignon. qui l’a trouvé dans le manuscrit de Troyes, le détail de cette première entrevue racontée par le père André :


« M. de Meaux commença par faire entendre au père Malebranche que, pour être catholique sur la grâce, il devait embrasser la doctrine de saint Thomas, et que c’était pour l’y amener qu’il voulait avoir avec lui une conférence sur le système qu’il avait donné sur cette matière. Le père Malebranche était trop avisé pour accepter la proposition de M. de Meaux ; il savait que le prélat était trop vif dans la dispute, et il craignait, en l’imitant, de manquer de respect ; il parlait avec autorité, et on ne pouvait lui répondre sur le même ton. D’ailleurs son crédit à la cour et dans l’église de France donnait lieu de craindre que, s’il prenait mal les choses, il ne décriât le système aux dépens de l’auteur.

« Le père Malebranche se contenta de lui dire en général que tous les thomistes ne sont pas disciples de saint Thomas, que la matière de la prédestination et de la grâce était trop difficile à débrouiller dans une conversation, en un mot qu’il ne dirait rien que par écrit et après y avoir bien pensé. — C’est-à-dire, répliqua M. de Meaux, que vous voulez que j’écrive