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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/853

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naissance à un nombre immense d’espèces et d’individus. Tout s’échelonne, se rapproche et tend à l’unité. Dans l’univers moral, même marche de la science. S’il y a une anatomie générale des êtres organisés, il y a une philologie comparée; les langues mortes ont eu leurs Eugène Burnouf comme les fossiles leurs Cuvier. Depuis Vico, l’histoire est une science, la plus délicate de toutes, mais non pas la moins certaine, qui, sans rien ôter à la liberté humaine de ses inviolables droits, soumet le mouvement de la civilisation à des lois générales et en écarte le caprice et le hasard. Partout, dans les profondeurs des actions humaines comme sur la face de l’univers visible, éclate l’unité harmonieuse. Un petit nombre de causes générales gouvernées par des lois très simples, voilà le résultat net de vingt générations d’hommes de génie et de quatre siècles de découvertes et d’explorations.

Est-il possible, est-il bon qu’un pareil fait ne modifie en rien, je ne dis pas les dogmes essentiels, mais le gouvernement des choses religieuses? Est-ce en favorisant l’éclosion de toute sorte de petits prodiges, est-ce en entretenant dans le peuple des campagnes toute sorte de petites superstitions, est-ce ainsi qu’on servira la cause de la religion, ou bien n’est-ce pas plutôt en propageant les découvertes de la science moderne par tous les degrés de l’enseignement et de la prédication, en confiant aux idées de Newton et de Cuvier, devenues des idées populaires, le soin de chasser peu à peu de l’imagination des simples les fantômes, les apparitions, avec leur cortège de petites pratiques et d’enfantines terreurs, superstitions touchantes et poétiques quelquefois quand elles sont naïves, mais qui doivent céder la place à la grande poésie qui jaillit de la contemplation philosophique de la terre et des cieux ? Nous ne déclamons pas; nous savons ce qu’il y a de délicat, d’innocent, de légitime même et d’indestructible dans ces pieuses croyances. Encore moins nous permettrons-nous de donner des conseils qu’on ne nous demande pas et que d’autres ont mille lois plus le droit de proposer. Nous disons seulement que plus on relira Bossuet, Arnaud, Malebranche, plus on verra que ces fermes et nobles esprits, à part leurs dissentimens théologiques, sont également contraires à la multiplication indiscrète clés petits miracles, et qu’à l’occasion ils auraient volontiers rappelé aux amateurs du merveilleux en religion cette grande règle dont ils s’armaient contre les entités chimériques du moyen âge : Non sunt multiplicanda prœter necessiaten. Point de dogmes nouveaux ni de miracles nouveaux sans nécessité, telle était autrefois la maxime de l’église : la théologie et le bon sens vivaient d’accord.


EMILE SAISSET.