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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/921

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groupe est formé sont intéressées à ce que la France soit forte et investie d’une grande influence, car elle est pour elles une sœur aînée dont l’autorité est leur sauvegarde. Dans la communauté d’idées et de sentimens qui se fait de plus en plus remarquer entre les nations de l’Europe, il est aujourd’hui exact de dire ce que Napoléon Ier avançait un peu prématurément peut-être il y a soixante ans, que toute guerre européenne est une guerre civile; mais c’est bien plus vrai encore quand il s’agit des conflits entre les nations latines.

Ainsi il importe à la France, il est de son intérêt intime et étroit que l’Espagne soit une nation vivace, douée de grands moyens d’action et pesant dans la balance du monde, qu’il en soit de même de l’Italie, que le Portugal renaisse, autant que le lui permet l’exiguïté de son territoire, à de grandes destinées: que la Belgique, si industrieuse, si libérale et si sage, excepté quand elle dépense son argent à fortifier Anvers, soit comptée pour quelque chose, et que les états fondés avec des matériaux espagnols et portugais dans le Nouveau-Monde grandissent en culture intellectuelle et morale, en richesse et en population, au lieu d’être dévorés par l’anarchie qui les consume presque tous depuis qu’ils ont consommé leur indépendance. À ce point de vue, l’empereur Napoléon III a fait de la bonne politique lorsqu’il a soutenu l’Espagne et a demandé qu’elle fût classée parmi les grandes puissances de l’Europe. Ce n’est pas seulement le souvenir de sa splendeur passée qui autorise l’Espagne à aspirer à ce rang : elle est fondée à le réclamer par les progrès qu’elle a su accomplir depuis qu’elle s’est soustraite à la malfaisante étreinte du régime du pouvoir absolu. Henri IV et Richelieu ont été de grands politiques quand ils ont ébranlé et diminué la puissance espagnole. C’était la donnée qui convenait à leur siècle. S’ils revenaient au monde aujourd’hui, leur génie procéderait différemment, et s’appliquerait à relever l’Espagne. Du même point de vue, il est impossible de ne pas reconnaître que l’assistance donnée à l’Italie avec tant de résolution et d’à-propos en 1859, pour qu’elle s’affranchît du joug de l’Autriche, et l’impulsion à la faveur de laquelle cette belle contrée a déjà presque complètement accompli son unité, émanent aussi d’une bonne politique. La France, appuyée sur les deux péninsules et unie à elles par les liens d’une sympathie réciproque et par mille tendances communes, par les rapprochemens du langage, des habitudes, des idées, et avant tout de la religion, conservera pour leur bien comme pour le sien, et pour celui du monde entier, une influence qui lui échapperait vraisemblablement bientôt, si elle était seule, ou si les autres états catholiques étaient affaiblis et abaissés par leur isolement, désorganisés par des luttes intestines