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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/943

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tes noces, ajouta-t-il toujours plus bas, car c’est mon droit. Nul autre n’adresserait au ciel pour ton bonheur des prières aussi ferventes; mais il faudra te décider par toi-même, et puisses-tu, oh! puisses-tu ne pas te tromper!... Depuis bien des mois, tu n’es plus heureuse.

« — Comment l’être quand le cœur souffre? répondit Marguerite en le quittant. Il s’agenouilla quand elle ne fut plus là, implorant pour elle les secours d’en haut.

« Marguerite rentra chez elle, pâle, agitée, mécontente. — Mère, disait-elle, ne me parlez plus de ceci, ou nous cesserons de nous entendre.

« — Il vous le défend... Honte à lui s’il méconnaît ainsi son devoir!

« — Lui, me le défendre ! Il ne s’est pas abaissé jusque-là. Il a été aussi noble que je l’étais peu... Quel impitoyable cœur je lui ai laissé voir! Et sur son cher visage quel combat, quelles angoisses!... Comme ses joues étaient pâles! comme ses pauvres lèvres tremblaient en prononçant ces courageuses paroles... — Ici Marguerite fut interrompue par ses sanglots.

« Catherine pleurait aussi. — Soit, dit-elle, et n’en parlons plus. Vous êtes pour la vie enchaînés l’un à l’autre. Si Dieu a pitié de vous, ce ne sera point pour trop longtemps.

« — Ne pensons plus qu’à le consoler, reprit Marguerite... »


Et sans lui rien expliquer, mais s’imposant de paraître plus heureuse, elle n’ouvrit plus la bouche sur le mariage un moment projeté. Quand Gérard eut deviné à quel parti elle s’arrêtait, il la prit un jour à part, et, cherchant avec elle à démêler le secret de ce trouble qui semblait paralyser en elle la faculté d’être heureuse, il lui signala le seul remède efficace qu’elle y put apporter.


« ... La différence entre nous, c’est que je suis prêtre, et que tu ne l’es pas. Il n’est pas de jour, il n’est pas d’heure pour ainsi dire où, de mes ouailles chéries, quelque émotion ne me vienne. Si ce n’est pour m’associer à leurs chagrins, c’est pour m’irriter de leur perversité, ou m’égayer de leurs absurdes imaginations, ou me sentir réchauffé par quelques bonnes pensées que je vois éclore en elles….. Pourquoi ne pas te faire une part dans ce lot, meilleur après tout que ton inertie et ta noire tristesse?

« — Ah! si je pouvais....

« — Tu n’as qu’à vouloir. Viens parmi nous. Fais-toi la distributrice des aumônes que j’épargne pour mes pauvres paroissiens. Écoute le récit de leurs peines; cherches-y des consolations et des remèdes….. Qu’en dis-tu, toi qui fus ma sagesse, toi qui m’as donné la paix?... Ne veux-tu pas, à ton tour, profiter de la raison que tu m’as rendue?... Me refuseras-tu le bonheur d’alléger ton fardeau en reconnaissance de tout ce que je te dois?.... »


Marguerite obéit à ces sages remontrances, et s’appuyant l’un à l’autre, s’entr’aidant aux heures de défaillance, plus étroitement unis chaque jour par la solidarité de leurs bonnes œuvres, ils arrivent paisiblement au terme de leur voyage terrestre. La loi du Christ, interprétée selon la raison et adaptée aux véritables condi-