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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/954

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de se servir de l’épée sous peine de périr par l’épée. Il n’importe que ses ennemis ne l’aient terrassé que par des mensonges; il n’importe qu’on ait faussement rejeté sur lui tout l’odieux de la terreur, quand il ne perdait la vie que pour avoir menacé le pouvoir et la tête des terroristes qui lui semblaient compromettre la république par des cruautés inutiles et mal dirigées : sa mort n’a pas moins été juste. Il a été tué par les calomnies, les rancunes et les colères de la peur, par les conséquences inévitables du régime d’intimidation qu’il avait sanctionné et pratiqué tant que la violence lui avait semblé utile à ses fins. Et c’est en pure perte qu’une rhétorique déplacée cherche à colorer le tableau de sa passion de manière à rappeler celle de la victime du Calvaire. Si les aboyeurs ont été à leur poste autour de la table ensanglantée du comité de salut public, comme ils avaient été à leur poste au prétoire de Pilate, si le peuple, le même homme naturel que le rêveur se plaisait à orner de toutes les vertus, a démontré contre lui ce qu’il couvait de malices et de brutalités, cela n’était qu’une justice de plus. Ce qui était ainsi châtié et bafoué dans le héros de la révolution, c’était bien le vrai coupable de la révolution, la cause morale de tous ses excès; c’était l’aveuglement de la raison, qui en était venue à ne plus se douter des dangers inhérens à la nature humaine, et pour qui le dernier mot de la science politique était de briser toutes les digues opposées jusque-là aux forces de l’abîme; c’était l’aveuglement de la conscience, qui gardait trop peu le sentiment du mal et du bien pour soupçonner seulement à quoi étaient bons les vieux décalogues, avec leurs commandemens de nous vaincre nous-mêmes et de reconnaître la corruption de notre nature. Ce qui subissait enfin la juste loi de la rétribution, c’était la démence orgueilleuse qui s’était fait gloire de conspuer tout ce qui a tenté d’élever l’homme au-dessus de ses faiblesses originelles, tout ce qui s’est efforcé de le préparer à la liberté en lui apprenant à être humble, à tenir ses propres opinions pour faillibles, et à renoncer envers toutes les autres opinions au mépris comme à la violence, — la démence qui croyait régénérer le monde en remplaçant ces impostures sacerdotales par le saint commandement de croire à nous-mêmes comme à des raisons qui ne peuvent voir que le vrai, par le saint devoir de haïr, comme disait Saint-Just, tous ceux qui n’ont pas le pur amour du bien public tel que nous l’entendons, par la sainte morale, en un mot, qui enjoint à chaque conviction de vouloir quand même sa volonté, d’imposer à tous ce qui lui semble le mieux à elle, et de se dégager de toute obligation envers les convictions contraires. Cette morale-là, l’époque elle-même lui avait donné son vrai nom ; elle l’avait appelée la « morale naturelle, » morale