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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/980

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enfin princesse du monde théâtral n’avait traversé la vie accompagnée de bruits plus retentissans que ceux dont cette Espagnole était entourée aux pays allemands. En d’autres temps, Laërte eût dédaigné une renommée semblable; mais les dispositions nouvelles de son esprit lui firent accueillir ce qui naguère n’aurait pas pu éveiller en lui-même un sentiment de passagère curiosité. Il voulut être conduit chez Inès. Il n’était point fat; il avait au contraire la nature la plus étrangère à toute fatuité. Il ne put se dissimuler toutefois qu’il avait produit sur la danseuse une de ces impressions magnétiques auxquelles les personnes de cette espèce s’abandonnent avec tant de charme. Inès donnait des soirées où ne dédaignaient point de se montrer nombre de personnages considérables de l’aristocratie autrichienne. Le jour où elle reçut Laërte chez elle, son salon était encombré de gens importans. Dès qu’elle aperçut le comte Zabori, elle devint l’hôtesse d’un seul homme. Elle fit asseoir le jeune officier à ses côtés, sur une ottomane où elle s’arrangea comme un oiseau dans son nid. Dans cette attitude, elle épuisa sur le nouveau venu tous les traits de sa coquetterie qu’elle réputait les plus sûrs et les plus acérés. Le visage de Laërte avait une indicible fierté; tout en lui trahissait le gentilhomme fidèle, même à son insu, aux lois impérieuses de sa race. Inès lui débita presque avec bonne foi une histoire dont elle faisait le début de ses romans de prédilection. Elle lui dit que ce nom de Lara, qui, à la connaissance de toute l’Espagne, lui avait été donné par le caprice d’un de ses premiers amans, était un héritage qui parfois troublait sa conscience en chatouillant sa fierté. Elle se rattacha enfin par de merveilleux récits à cette héroïque famille qui est pour le drame moderne ce que la famille des Atrides est pour l’antique tragédie. Laërte, malgré sa jeunesse, avait trop d’expérience pour prendre au sérieux de semblables discours ; mais celle qui les lui adressait avait de grands yeux d’où jaillissait l’immortelle ivresse de la volupté. Cette ivresse tombait dans un cœur dévoré par le désir de ces agitations où nous cherchons la vie quand la paix ne veut pas de nous et que nous ne voulons pas de la paix.


II.

Laërte ne se montra donc point cruel pour Inès, qui se jeta dans ce nouvel amour avec toute la fougue dont elle s’enorgueillissait. Cette fougue ne la poussa point cependant à faire un sacrifice qu’eût impérieusement réclamé cette loyauté de condottiere qui passait pour sa principale vertu. Elle conserva des relations occultes avec un homme qui apportait la plus grande prudence et le plus grand secret dans les écarts souvent fâcheux de son humeur galante. Elle