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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/367

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de se mettre aux prises avec les forces de la nature que de chercher à égorger des frères.


II

Si, dans la grande œuvre de l’exploration de la nature qui s’accomplit actuellement, les Anglais se distinguent surtout par leur audace, leur joyeuse persévérance, leur mépris du danger, les Allemands savent peut-être apprécier les choses de la terre d’une manière à la fois plus générale et plus intime. Ils ne se sont pas bornés à célébrer la nature sur tous les tons dans leurs poèmes et dans leurs travaux philosophiques, ils l’ont en même temps étudiée avec amour. Kant, le puissant rénovateur de la philosophie moderne, s’occupait aussi de la solution des problèmes relatifs à la terre, et de la même plume qui lui avait servi pour la Critique de la raison pure, il écrivit plusieurs ouvrages de géographie physique. Goethe, le tranquille adorateur des forces cachées dans la roche et dans la plante, eut pour contemporains Alexandre de Humboldt, l’infatigable voyageur qui, dans les deux mondes, étudia sur place les mouvemens de la vie du globe, et Carl Ritter, l’héroïque savant qui ne recula pas devant la pensée de commencer à lui seul l’encyclopédie des connaissances de l’humanité, sur les contrées et sur les peuples de la terre. Après ces deux hommes, qui furent vraiment des initiateurs, sont venus un grand nombre de voyageurs et de savans qui se sont donné pour mission de parcourir la planète, de l’étudier et de la décrire. L’Allemagne n’ayant pas de colonies et n’envoyant point des légions d’employés sur tous les points du globe comme la Grande-Bretagne, ce n’est ni le patriotisme étroit, ni l’accomplissement d’une mission imposée, c’est vraiment l’amour de la terre qui pousse tant d’explorateurs allemands vers des régions rarement visitées ou complètement inconnues. La liste est déjà bien longue de ceux d’entre eux qui ont succombé en Afrique, en Australie, dans l’intérieur de l’Asie et de l’Amérique, et cependant il se présente sans cesse de nouveaux voyageurs pour reprendre au point d’arrêt les découvertes de leurs devanciers.

Il est vrai d’une manière générale que les Allemands, supérieurs comme interprètes de la nature à leurs rivaux les Anglais, ne les égalent pas en fougue et en intrépidité joyeuse dans l’exploration des montagnes ; mais aussi se laissent-ils moins souvent entraîner par l’enivrement de l’ascension à commettre de ces actes de folle audace qui coûtent chaque année plusieurs vies précieuses : ils ne gravissent pas uniquement les cimes pour le plaisir tout physique de d’escalade, ils montent aussi, soit pour apprendre eux-mêmes, pour enseigner plus tard, et, rendus prudens par la réflexion,