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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/614

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même parut reconnaître ce qu’avait de légitime la tendance de l’Alsace à se gouverner elle-même : bientôt il abandonna le landgraviat du Nordgau, c’est-à-dire tout le territoire qui forme aujourd’hui le département du Bas-Rhin, à l’évêque de Strasbourg. Il y eut alors en Alsace une principauté ecclésiastique puissante dont l’indépendance pouvait se comparer à celle des électorats de Trêves ou de Cologne, des villes immédiates ou libres unies entre elles et alliées aux Suisses, habituées dès longtemps à se passer de l’empereur, — au sud, un landgraviat, province moins allemande que le Nordgau et du reste en partie soumise à la suprématie de Mulhouse et de Colmar. On voit par quels faibles liens à cette époque l’Alsace était réunie à l’Allemagne. Quant aux sentimens qu’elle éprouvait pour l’empire, nous les trouvons dans cette vieille chanson populaire que les chroniques nous ont conservée : « Es-tu un roi d’Autriche, seigneur et maître de l’empire romain ? Tu devais augmenter l’empire, et tu le laisses dépérir ; tu as laissé venir les meurtriers au détriment des villes ; honte à toi, grand est ton déshonneur ! »

L’histoire des traités de Westphalie a été faite récemment, dans la Revue, par M. Charles Giraud[1]. Les Allemands ne peuvent contester que nous sommes entrés en Alsace appelés par les habitans eux-mêmes ; nos garnisons sont venues y remplacer celles des Suédois. Nous étions avec l’Allemagne libérale contre la maison d’Autriche, ennemie de l’Alsace, contre le parti qui voulait l’intolérance religieuse et la soumission politique de la confédération. Nous n’avons pas conquis l’Alsace, nous l’avons occupée du consentement des habitans. Les Alsaciens combattaient à nos côtés. L’Allemagne nous répond, et Schiller dit avec une éloquente douleur : « Vous profitiez de nos dissensions pour nous démembrer. » C’est ce que répètent aujourd’hui M. le prince de Bismarck et le roi Guillaume, c’est ce que tout le monde croit au-delà du Rhin, et ce qu’on enseigne déjà aux petits paysans d’Alsace. Du moins il faut reconnaître avec nous que nos armes, notre argent, nos soldats, notre politique, servaient dans cette guerre la cause du progrès, la cause même de l’Allemagne. Trois périodes de la guerre de trente ans avaient échoué ; trois fois les princes protestans avaient été battus. Nous intervenons, et nous mettons fin à la lutte. Les traités de Westphalie n’étaient pas un compromis temporaire ; ils donnaient satisfaction aux plus puissantes et aux plus justes aspirations de l’Allemagne. Ils ont duré plus d’un siècle et demi : une paix mal faite, faite contre la justice et les vœux d’une nation, ne dure pas. La paix de Westphalie est notre œuvre. Pour les contemporains, la réunion à la France d’une province qui l’avait appelée fut un des

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1870.