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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/93

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tout. Quelque matin qu’ils se lèvent, il les prévient ; quelque loin qu’ils s’écartent, sa main est sur eux. Ainsi Dieu donne au prince de découvrir les trames les plus secrètes ; il a des yeux et des mains partout : les oiseaux du ciel lui rapportent ce qui se passe. Il a même reçu de Dieu pour l’usage des affaires une certaine pénétration qui fait penser qu’il devine. A-t-il pénétré l’intrigue, ses longs bras vont prendre ses ennemis aux extrémités du monde ; ils vont les déterrer au fond des abîmes : il n’y a pas d’asile assuré contre une telle puissance ! »

Quand un évêque parlait ainsi, il ne faut pas s’étonner de ce qu’un courtisan osait faire ; les hommages d’un d’Antin ou d’un Lafeuillade avaient toutes les apparences d’un culte. Saint-Simon rapporte qu’à la dédicace de la statue de la place des Victoires on renouvela presque les fêtes du paganisme. « Le duc de Gesvres, gouverneur de Paris, à cheval, à la tête des corps de la ville, y fit les tours, les révérences et autres cérémonies tirées et imitées de la consécration des empereurs romains. Il n’y eut à la vérité ni encens, ni victimes ; il fallut bien donner quelque chose au titre de roi très chrétien. » L’apothéose est donc au fond de toutes les sociétés qui proclament que le pouvoir émane de Dieu, et le principe que l’autorité est divine conduit inévitablement à l’adoration monarchique. Pour n’être point trop sévères à ceux qui ont placé les césars dans le ciel, n’oublions pas qu’il y a un siècle à peine tout le monde mettait chez nous les rois au-dessus de l’humanité ; songeons aux courtisans de Louis XIV quand nous avons peine à comprendre les Romains de l’empire.

Gaston Boissier.