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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/182

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On y voit Dieu le père, ou, pour employer le langage plus significatif des légendes du vitrail, le divin plasmateur des mondes, — terme du néo-platonisme de la renaissance, et nom sous lequel le bon Pantagruel a coutume dans Rabelais d’invoquer le Tout-Puissant, — coiffé d’une triple tiare et vêtu d’une longue robe, procéder au grand œuvre de la création. Ainsi coiffé et vêtu, il tient à la fois du pontife et du magicien, et c’est en effet à une entreprise de haute magie que nous fait assister l’artiste. Le macrocosme vivant a désiré un miroir de lui-même où il pût contempler son immensité, et il s’occupe de créer le microcosme dont nous faisons partie. Les différentes opérations de cette œuvre savante nous sont successivement présentées. Ici un cercle rayonnant s’ouvre sur la sphère du monde ; plus loin, une ellipse se dessine et élargit ce premier cercle ; dans le vitrail suivant, nous voyons formée au complet la glace du miroir qui ne réfléchit encore aucune image. Enfin le spectacle de la vie apparaît au sein du cercle préparé par les opérations précédentes, mais rapetissé et réduit à l’état de miniature par l’immensité de la distance. On magisme néo-platonicien, tel est bien le nom qu’on doit donner à la théorie cosmogonique, mélange de mosaïsme et de platonisme alexandrin, que nous expose cette verrière, où nous pouvons compter avec précision les différentes hypostases de la matière, et où Dieu ne nous apparaît pas sous une forme supérieure à celle du grand Demiourgos, âme de notre monde sensible.

Les autres verrières, qui racontent des légendes de saints étrangers à la localité, n’ont pas l’importance de ces deux principales ; mais elles ont un très grand charme. Les regarder est comme lire une nouvelle assez courte pour éviter l’ennui, assez longue pour éviter la sécheresse. Les légendes de saint Martin et de saint Nicolas sont bien connues ; celle de saint Julien, qui l’est beaucoup moins, n’a pas seulement un mérite d’édification, elle offre aussi un caractère pathétique dont l’imagination s’accommode à merveille. La verrière nous raconte que le jeune Romain, emporté certain jour par l’ardeur de la chasse, fit rencontre au fond des bois d’un cerf merveilleux qui lui parla, et lui prédit qu’il tuerait ses parens. Une pareille prophétie est bien faite pour troubler, mais la mémoire de l’homme est courte, et Julien l’oublia vite au milieu des joies de la vie. Il se maria, et le caractère que sa légende nous fait apparaître indique qu’il fut un époux passionné. Il fit une absence, et étant revenu chez lui nuitamment, il découvrit qu’un étranger dormait dans les appartemens de sa femme. Il crut à un adultère, et, sans se donner le temps de vérifier ses doutes, il tira son épée et frappa. Or cet étranger était son propre père, ainsi que sa femme le