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accrue des titres auxquels la spéculation a donné naissance, prouverait que depuis quinze ans elle a encore plus creusé le sol, fécondé la matière, enrichi les individus et les états, multiplié cette consommation démocratique par excellence, qu’on peut bien appeler, par cela même qu’elle alimente le travail, la source de tout progrès et la base de toute civilisation. En dépit donc des accusations qu’il serait banal de renouveler après celles de l’auteur des Manieurs d’argent, notre pays n’a pas à se plaindre de la spéculation, qui a si avantageusement subventionné l’industrie. Au lieu de diriger ses principaux efforts vers les améliorations matérielles, eût-il mieux fait, comme nous le disions en 1857, de donner dans ses préoccupations une part plus large à des besoins d’un ordre plus élevé, et de porter son idéal hors du monde de la matière proprement dite ? On n’oserait le nier ; mais il n’y a pas que les nations industrielles qui peuvent être frappées par la fortune : eussions-nous été moins soucieux du développement des intérêts matériels, que nous n’aurions peut-être pas mieux évité les conséquences de fautes qui toutes ne datent pas d’hier. Le bénéfice de notre activité industrielle nous a profité en ce sens que nous avons racheté plus vite la rançon de nos défaites, et retrouvé avec les habitudes du travail la dignité, l’estime de nous-mêmes et des autres, la confiance en l’avenir, ce qui vaut mieux encore que le profit. Cette régularité reprise dans les habitudes matérielles est le signe manifeste de l’ordre renaissant dans les esprits, et c’est par là que les relevés des impôts nous intéressent particulièrement. Sans doute il est consolant de savoir, au point de vue de la prospérité financière du pays, que le premier trimestre de 1872 accuse de bons résultats, que les anciens impôts indirects, évalués d’avance à 304 millions, en ont donné 305, soit 15 millions de moins seulement qu’en 1870, alors que la France possédait l’Alsace et la Lorraine, que les nouveaux impôts et les surtaxes ajoutées aux anciens ne laissent place, sauf en ce qui concerne le transport des lettres, à aucun mécompte. Toutefois nous préférons encore à ces avantages directs du travail l’apaisement qui les suit et les gages de sécurité qu’il procure.

Ne nous laissons point cependant aller à une, confiance plus grande qu’il ne convient et abuser par une apparence. Sans parler des inquiétudes inhérentes à notre situation politique intérieure et de nos cruels soucis vis-à-vis de l’étranger, en restant sur le terrain circonscrit où nous venons de nous placer, évitons avec soin ce qui pourrait arrêter les progrès de notre spéculation et de notre industrie. Après ses malheurs, en regardant autour d’elle, en se voyant partout l’objet d’une méfiance qui, nous devons bien l’avouer, n’était pas entièrement imméritée, la France a pu se sentir saisie d’un besoin de réagir, de se tenir en-deçà de ses frontières, de se recueillir,