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un port de son propre pays et pourvu de pilotes sûrs a mille occasions de forcer la barrière qui l’enferme. Les paquebots anglais, pendant la guerre de la sécession, avaient offert à l’Europe des spectacles journaliers de ce genre ; l’Arcadion, pendant l’insurrection de Crète, s’était moqué maintes et maintes fois de la croisière turque, l’Arminius enfin venait de réussir d’une manière complète, à déjouer notre surveillance.

On ne peut reprocher à l’Augusta un manque d’audace ; sortie de la Mer du Nord dans les derniers jours de décembre, elle capturait à la hauteur de Cordouan le bateau de servitude le Max, du port de Rochefort ; à l’embouchure de la Gironde, elle enlevait deux petits bâtimens de commerce, le Saint-Marc et le Pierre-Adolphe. Après cette équipée heureuse sur notre littoral, le navire allemand n’avait qu’à traverser l’Atlantique, à paraître sur les côtes de l’Amérique du Nord ou du Brésil : il eût trouvé facilement à se ravitailler, à prendre du combustible dans quelque port neutre (les Anglais, si sévères à notre égard, l’avaient déjà laissé renouveler son charbon sur la côte d’Irlande) ; on se demande alors de combien de coups portés à notre marine de commerce il n’aurait pas signalé sa présence avant d’être arrêté par la signature de la paix. Au lieu de poursuivre quelque conception grandiose digne du génie de Porter ou de Semmes, l’Augusta vient terminer sa carrière de croiseur à quelques lieues de nos côtes, dans le port de Vigo, où le blocus se referme sur elle, plus étroit et plus. facile que dans la Mer du Nord, sans qu’elle ose cette fois tenter l’aventure d’une sortie.

A ceux qui verraient trop de fantaisie dans cette course supposée de l’Augusta à travers l’Atlantique, il est facile de montrer combien cette fantaisie est peu de chose auprès de la réalité en rappelant l’Alabama, dont les hauts faits sont encore présens à la mémoire de tous les marins. Le corsaire confédéré était un bâtiment de commerce ; il ne possédait qu’une vitesse ordinaire, qu’une artillerie médiocre, il avait contre lui toute la flotte fédérale, et pendant deux ans il a battu la mer, capturant jusqu’à des paquebots, arrêtant des navires tantôt sur la côte du Brésil, tantôt dans le détroit de Malacca, brûlant des prises en vue de Gibraltar ou du cap de Bonne-Espérance. Le point d’honneur a seul arrêté, son odyssée de corsaire. L’Alabama, à n’en pas douter, aurait pu s’échapper de Cherbourg et tromper la vigilance du Kearseage, comme il avait déjoué à Fort-Royal celle du Tuscarora ; il aurait survécu au désastre même de Richmond, si le capitaine Semmes, moins brave et plus politique, avait su résister à la provocation habile de son ancien camarade Winslow. Avec les moyens actuels de locomotion et de vitesse, il faut s’attendre à tout de la part d’un ennemi