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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/451

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sorties moins rares, mieux concertées, bien que les événemens qui ont suivi aient dû convaincre les plus aveugles de l’inanité des forces sur lesquelles ils comptaient, et d’ailleurs la critique littéraire n’a pas à se prononcer entre la prudence hésitante et la témérité furieuse, entre le général Trochu et M. Gambetta. Cependant le bon sens et la vérité doivent être le support de toute poésie, et nous comprenons difficilement qu’une intelligence comme celle de M. Hugo en fût encore en 1870 à regarder la levée en masse comme le salut de la France. Tout ce qui lit et qui pense savait dans notre pays à quoi s’en tenir sur cette légende. Nous comprenons moins encore, si ce n’est un oubli, que l’auteur ait laissé ce mot malencontreux, ridicule, menteur, subsister dans sa pièce qui commence par ces mots : « je ne sais si je vais sembler étrange… » Aussi bien ce morceau ne compte-t-il pas au nombre de ceux qui font de l’auteur le poète de la patrie en ses malheurs, mais de ceux qui le rangent dans un parti dont il lui plaît d’être l’esclave. Que signifient en effet ces sarcasmes sur le cierge à sainte Geneviève, sur les neuvaines ? Nous ne voyons pas qu’au temps du siège Paris se soit « attardé aux chapelles, » qu’il ait beaucoup « chanté au lutrin, » ni qu’il ait laissé « l’épée pour le rosaire. » Tout le monde sait qu’il y a là une querelle personnelle où nous n’avons nulle envie d’intervenir : ce ne sont pas nos affaires ; l’auteur s’arrête ici à côté de l’intérêt vraiment français et patriotique. Il y a de belles erreurs qui sont la gloire d’un temps : celle-ci n’en est pas une. Nous aimons encore mieux les illusions qui lui font çà et là prophétiser la victoire ; si nous ne les avions pas partagées dans une certaine mesure, d’où nous serait venu le courage d’espérer contre toute espérance ?

Le mérite que l’avenir contestera le moins, ce semble, au recueil nouveau, c’est le caractère humain et populaire d’un bon nombre de pièces. Il ne s’agit pas ici des plaidoyers en faveur des insurgés vaincus ; nous n’entendons point sacrifier au poète nos braves et fidèles soldats qui méritaient plus de respect, eux qui étaient appelés à châtier le crime et qui n’en avaient pas commis. L’Année terrible, si l’on en écarte les dissensions civiles, est notre histoire à tous. L’auteur est l’emblème du Parisien de bonne foi, qui a pris son parti du siège, de la maigre pitance et des nuits passées au rempart. Il ne suffit pas de se souvenir de ces choses, et l’on est heureux d’en retrouver l’impression vivante et palpitante sous une telle plume. Ce livre est la fidèle expression de cette période formidable et poignante, et il puise là son intérêt, son unité : il demeurera, dans ses meilleures parties, comme le témoin poétique de la grande crise nationale. Le mot de revanche a été appliqué à l’Année terrible ; oui, si l’auteur avait été partout un poète et nulle part un