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Tous les gouvernemens jusqu’ici, pour éviter les révolutions, n’ont rien trouvé de plus ingénieux que de précipiter les partis du côté de la révolution. Le parti démocratique en particulier a toujours été mis hors la loi, et nos conservateurs rêvent peut-être de l’y mettre encore une fois. Quelle belle politique, et combien favorable à l’ordre et à la paix ! Supposez aujourd’hui qu’on rétablisse une monarchie fusioniste ou autre : voilà les républicains annihilés politiquement et n’ayant plus d’espoir que dans une révolution nouvelle. Excellent moyen d’affaiblir l’esprit révolutionnaire ! Ce n’est pas tout. Dans ce gouvernement une fois fondé, il y aura, comme sous la restauration, comme sous Louis-Philippe, comme sous l’empire, une droite et une gauche. Les mêmes raisons qui auront fait le succès de la monarchie mettront le pouvoir entre les mains des conservateurs. Les libéraux seront en disgrâce ; comme pouvant servir de passage aux républicains[1], on les combattra aussi bien que ceux-ci, on prendra toutes les mesures pour leur interdire le pouvoir, et par là même on les forcera de s’allier aux adversaires du gouvernement. N’est-ce pas là ce que nous avons vu trois fois ? La gauche donnant la main à l’extrême gauche et le centre gauche à la gauche, de sorte que le parti de la révolution grandira toujours de plus en plus par les efforts mêmes que l’on fait pour lui résister. La vraie tactique politique, à notre sens, est de fonder le gouvernement sur une base tellement large qu’il ne reste en dehors que le parti révolutionnaire pur, livré à ses propres forces. La politique suivie au contraire jusqu’ici a toujours été de pousser du côté révolutionnaire non-seulement les radicaux, mais même les républicains modérés, non-seulement les républicains, mais même les libéraux, et enfin, s’il se forme un tiers-parti, de le repousser encore, de le combattre jusqu’à ce qu’on soit forcé de lui céder, — ce qui, n’étant jamais que l’effet de la lassitude ou de la faiblesse, n’est d’ordinaire que le commencement de la fin. Ouvrir la porte à l’avènement libre de tous les partis, lorsqu’ils seront d’accord avec l’opinion publique, telle est au contraire la seule issue possible du problème révolutionnaire.

L’une des objections les plus surprenantes qui aient été faites à la politique de M. Thiers, c’est qu’il est appuyé par les radicaux, — comme s’il pouvait interdire de voter pour lui ! Quel étrange

  1. C’est ainsi que sous le gouvernement de juillet on ne voulait pas de M. Thiers comme conduisant à M. Barrot, de M. Barrot comme pouvant conduire à Garnier-Pagès ou à Ledru-Rollin, et celui-ci plus loin encore. On fait le même raisonnement aujourd’hui ; mais, comme ce raisonnement peut être fait également en sens inverse, il s’ensuivrait rigoureusement, grâce à cette belle logique, qu’il serait impossible de donner le gouvernement à qui que ce soit.