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ensemble lettrée et fervente ; elle unit la science à l’apostolat, ralliant à elle, dans la haute bourgeoisie et la noblesse, les hommes les plus éminens, en même temps qu’elle s’étendait dans le peuple. Pendant un demi-siècle, elle fit des progrès étonnans. Ce n’était point une plante exotique, elle avait pris racine dans notre sol ; nul mouvement n’a été plus français au point de vue intellectuel et moral. Elle a toutes les meilleures qualités de notre nationalité, la clarté et la fermeté de l’intelligence, l’élan du courage avec une trempe d’austère fermeté.

Le protestantisme français a été la chevalerie de la réformation. Elle lui doit quelques-uns de ses plus grands caractères, tels que les Coligny et les Du Plessis-Mornay, vrais gentilshommes chrétiens qui opposent à toutes les intrigues et à toutes les corruptions florentines de la cour des Valois une indomptable fidélité à leur foi et à eux-mêmes. La langue profita de ce grand mouvement d’idées. Rien ne lui est plus favorable que la passion sérieuse ; semblable à un dur métal, il lui faut cette brûlante enclume pour s’affiner et se façonner. La flamme généreuse des ardentes convictions la délivre plus rapidement de ses scories que le polissage des grammairiens. Calvin et Théodore de Bèze ont plus fait que tous les Vaugelas pour former et assouplir ce merveilleux instrument de précision qui s’appelle la prose française, avec sa dialectique naturelle et lumineuse et son art incomparable d’enchaîner les idées. Qu’on lise, pour s’en convaincre, l’Institution de Calvin et surtout la lettre à François Ier où il revendique le droit de ses coreligionnaires.

Les conséquences de la révocation de l’édit d’Henri IV n’ont pas été autant déplorables pour les proscrits que pour les proscripteurs ; ce sera l’honneur du protestantisme français que d’avoir résisté sans fléchir pendant plus d’un siècle, non-seulement au sabre des dragons et aux supplices infamans, mais encore à une législation qui le mettait hors la loi en lui fermant aussi bien le foyer de la famille que le foyer religieux. L’exil avait enlevé de France la majeure partie des populations réformées, qui avaient porté en Allemagne, en Angleterre et jusqu’en Amérique leurs laborieuses habitudes. La France ne fut pas seulement privée d’industries lucratives, sa classe moyenne perdit à cette proscription l’un de ses élémens les plus précieux et les plus libéraux, et l’on s’en aperçut lors de sa grande révolution. Celle-ci eut beau rendre tous les droits aux protestans, ils n’étaient plus qu’une infime minorité.

La réforme française n’en avait pas moins conservé ses institutions primitives à travers tous ces orages. A cet égard, la protection de Napoléon Ier lui fut plus fatale que les persécutions de l’ancienne monarchie. Ces institutions, qui viennent de lui être