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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/887

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capitaine, y chercher les points de vue les plus heureux, creuser un lac, ou dans une sphère plus humble entretenir les serres avec Édouard et planter les arbres sur un terrain propice, dans la saison la plus favorable. N’a-t-il point passé une partie de sa vie au milieu de ses plates-bandes, sous ses ombrages, la bêche ou la serpe à la main, étudié de ses yeux la nature sur le fait et retenu soigneusement toutes les leçons qu’elle nous donne ?

Goethe a aussi traité dans les Affinités électives la grande question de l’éducation, si bien résolue par l’Allemagne. Ses principes pédagogiques sont très simples, à la portée des esprits les plus humbles. Il voudrait qu’avant tout le maître s’appliquât à bien saisir une idée ou un objet, en acquît une notion très claire, en embrassât toutes les parties, et, en les présentant aux enfans, ne changeât de sujet qu’après s’être assuré que chacun possède aussi bien que lui tout ce qui précède. La dispersion des forces lui paraissait avec raison ce qu’il y a de plus dangereux dans l’enseignement. Rien de plus nécessaire que d’habituer les enfans à concentrer leurs efforts sur des points déterminés, et de leur donner l’exemple d’une attention soutenue. Il préfère pour les garçons la vie commune à l’éducation solitaire ; il aime à les voir tous revêtus du même uniforme. On dirait, comme l’a justement remarqué le nouveau traducteur des Affinités électives, qu’il recommande à ses compatriotes l’institution de la landwehr lorsqu’il passe en revue les petits jardiniers enrégimentés par Charlotte. « Les hommes, dit-il, devraient porter l’uniforme dès leur enfance, parce qu’ils doivent prendre l’habitude d’agir en commun, de se confondre parmi leurs égaux, d’obéir en masse et de travailler pour l’œuvre commune. D’ailleurs toute espèce d’uniforme entretient l’esprit militaire et une discipline plus exacte et plus ferme. Tous les garçons du reste sont nés soldats. » Il demande au contraire que les jeunes filles soient vêtues de la manière la plus diverse, chacune à sa guise, afin que chacune apprenne ce qui convient le mieux à sa taille et à l’air de son visage. Il résume lui-même son programme d’éducation dans une maxime aussi juste que profonde : « Que l’on élève, dit-il, les garçons pour être des serviteurs, les filles pour être des mères, et tout ira bien. » Voilà une pensée que devraient méditer les peuples qui ont perdu la notion de la discipline et cessé d’honorer la maternité.

Par cette abondance d’observations morales, par sa connaissance approfondie du cœur humain, par le soin avec lequel il étudie les rapports des hommes entre eux et les nuances les plus délicates du sentiment, Goethe mérite d’être compté parmi les plus grands moralistes de tous les temps. Il y a peu de conditions sociales qu’il