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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/949

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a obtenu du sultan une audience de congé, et là il a sans doute réussi à éclairer le souverain sur la marche de l’administration, puisque dès ce moment tout était fini. Une brusque disgrâce allait frapper Mahmoud, et Midhat-Pacha était proclamé grand-vizir. Ce qui prouve que ce dénoûment répondait à un instinct public, c’est qu’aussitôt Constantinople a été en fête. Une foule joyeuse a entouré le palais impérial ; Midhat-Pacha a été salué à son arrivée par des ovations. Le soir, des barques illuminées et pavoisées, remontant le Bosphore, sont allées acclamer le sultan et donner des charivaris à Mahmoud-Pacha. Jamais on n’avait vu de telles manifestations populaires dans la capitale turque.

Les illuminations et les manifestations passent à Constantinople comme partout ; une seule chose reste sérieuse, c’est que cette dernière tentative pour ramener la Turquie à l’immobilité fataliste, pour la détacher de l’Europe, cette tentative a échoué, et l’empire ottoman revient par un mouvement naturel à ces traditions de réformes mesurées, de bon accord avec l’Occident, dont trois générations d’hommes d’état avaient fait un système permanent et suivi. Mahmoud-Pacha disparaît sans être accompagné d’un regret, après avoir tout remué et en laissant la confusion derrière lui. Le nouveau grand-vizir a pour ainsi dire à reprendre une œuvre momentanément interrompue et mise à mal ; il a l’administration à reconstituer, les services publics à réorganiser. Ses premiers actes révèlent les pensées réparatrices qu’il porte au pouvoir. Il a commencé par faire cesser cette tyrannie que Mahmoud étendait partout. Il a rendu la liberté aux journaux, qui ont reparu imprimés en lettres d’or, comme pour célébrer l’ère nouvelle. Il a rappelé de l’exil tous ceux que le dernier grand-vizir avait frappés. Les hommes qu’il paraît devoir associer à son administration sont ceux qui ont déjà servi avec lui, qui partagent ses idées, qui ont été ministres avec Aali-Pacha. Ce serait évidemment une puérilité de trop s’ingénier à chercher dans cette révolution ministérielle une victoire ou une défaite pour l’influence particulière d’une puissance quelconque. C’est un acte d’initiative intelligente et indépendante de la part du sultan, un retour naturel à la seule politique où la Turquie puisse trouver sa défense et sa régénération, et s’il y a un danger pour Midhat-Pacha, c’est en quelque sorte le déchaînement de confiance qui se précipite vers lui. Quant à cet incident d’étiquette diplomatique qui s’est élevé il y a quelques jours dans l’audience de congé que notre ambassadeur à Constantinople, M. le marquis de Vogué, a eue du sultan, c’est là certainement une de ces questions qui ne résistent pas à une explication et qui ne peuvent surtout troubler des rapports traditionnels de cordialité. Pour la France, l’unique intérêt est de savoir l’empire ottoman indépendant et bien gouverné ; son unique satisfaction est de voir que, le jour où elle a paru s’affaisser, la politique de la Turquie a dévié de sa ligne, le jour où elle