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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/123

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connaît enfin la vieille Angleterre, l’Angleterre évangélique, comme il l’appelle dans ses lettres, l’Angleterre vers laquelle le portent toutes ses convictions, tous les battemens de son cœur[1]. Avec quel enthousiasme chrétien la vieille Prusse, représentée par lui, va s’unir de nouveau à la vieille Angleterre sous le patronage de sa très gracieuse sœur Victoria[2] ! Le prince de Schwarzenberg, dès les premiers jours de décembre, a fait proposer au cabinet de Berlin une démarche commune par laquelle la Russie, l’Autriche et la Prusse reconnaîtraient les nouveaux pouvoirs de Louis-Napoléon. En vérité, a dit en riant Frédéric-Guillaume, le prince de Schwarzenberg se pose déjà comme le pape qui doit couronner le futur empereur[3]. Quant à lui, ce ne sera pas son rôle, il ne suivra dans cette voie ni l’Autriche ni l’Allemagne, si les souverains allemands, comme il le prévoit, sont entraînés par les résolutions de Vienne. Assurément, dans le cas où il serait seul, il n’irait pas jusqu’à se séparer de la confédération germanique par un appel aux armes ; mais que l’Angleterre et la Russie lui donnent mission d’agir, qu’elles lui garantissent son territoire, qu’elles s’engagent à considérer toute agression contre l’une des trois puissances alliées comme les atteignant toutes les trois ensemble, alors on pourra compter sur lui.

Ainsi le pacifique Frédéric-Guillaume IV se déclarait tout prêt à soulever une guerre européenne pour empêcher, dès le lendemain du coup d’état, le rétablissement de l’empire. Il voyait là une occasion de constituer une nouvelle sainte-alliance, où l’évangélique Angleterre tiendrait la place de l’Autriche. Dès que lord John Russell eut parlé, ce rêve s’évanouit.

Cependant Frédéric-Guillaume IV ne renonçait pas encore à ses projets. Une quinzaine de jours après la séance de la chambre des communes où lord John Russell avait approuvé le coup d’état, le cabinet whig avait été remplacé par un cabinet tory. Un incident parlementaire qui ne semblait pas devoir amener un résultat si grave avait causé un violent dépit au premier ministre ; lord John avait annoncé brusquement sa démission, espérant que la reine ne l’accepterait point et que le parlement le prierait de rester à son poste ; mais la reine avait pris au mot l’impétueux homme d’état, et le comte Derby, chargé de composer un ministère, venait de ramener son parti au pouvoir (23 février 1852). Si le renvoi de lord Palmerston avait excité de si vives espérances chez Frédéric-Guil-

  1. « Meine Ueberzeugungen und Herzschläge treiben mich ihm zu. »
  2. Il aimait à écrire ces mots en anglais, comme pour les rendre plus expressifs, my most gracious sister Victoria.
  3. « Dem König kam es vor, als wolle der œsterreichische Minister gleichsam die Rolle des krönenden Papstes spielen. »