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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/185

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rieur. Est-ce à dire qu’on pouvait payer moins ? Il est bien permis d’en douter, si l’on n’a pas oublié que la valeur des choses est au Pérou le quadruple de ce qu’elle est ailleurs ; faut-il dire qu’à certaines époques on dut payer jusqu’à 100 francs la journée d’un tailleur de pierres ? L’œuvre d’ailleurs était gigantesque, les risques étaient grands ; en admettant que les bénéfices de l’entreprise deviennent considérables, ce qui est contestable et même fort contesté, doit-on y voir autre chose que la compensation équitable d’un contrat aussi aléatoire ? — Je reviens à la première objection, qui ne paraît pas moins sérieuse : il est certain qu’au point de vue financier la ligne transandine est ce qu’on peut appeler une détestable affaire, les bénéfices de l’exploitation ne couvriront jamais les intérêts du capital dépensé ni même probablement les frais nécessaires à l’exploitation de la voie. Cela se comprend lorsqu’on considère la pente extraordinaire qu’il faut gravir, le prix non moins exorbitant du combustible à dépenser, enfin les frais considérables d’un matériel venu d’outre-mer, qu’il sera nécessaire de renouveler fréquemment, grâce à l’usure produite par l’adhérence des roues dans des courbes aussi fortes. Pour cette raison, il est probable que le trafic s’effectuera toujours à des conditions assez onéreuses ; mais il ne faut pas perdre de vue non plus qu’à l’encontre de ce qui se passe en Europe les chemins de fer au Pérou doivent être la cause et non l’effet de la prospérité dîia pays. Ce que le pays perd aujourd’hui, il doit le retrouver plus tard avec usure par la mise en valeur des richesses de la sierra et de la montaña.

C’est pour le Pérou une question de vie ou de mort : ou la ligne de la Oroya aujourd’hui en construction sera continuée, lançant du haut de la sierra des embranchemems importans, ou elle demeurera une œuvre stérile pour laquelle les derniers millions du pays auront été jetés au vent. En effet, les terrains qu’elle traverse jusqu’à présent sont éminemment pauvres, les populations insignifiantes, les villages misérables, et, quelque riches que l’on suppose les gisemens miniers de la Cordillère, ils seront toujours iusuffisans pour alimenter le trafic d’une ligne aussi coûteuse. Le point central de la Oroya au contraire forme pour ainsi dire la limite de cette terre promise de richesses minières et agricoles aujourd’hui perdues ou improductives : c’est à droite Jauja, Concepcion et Huancayo, qui doivent porter vers Lima les céréales de leurs riches vallées, rendant ainsi la vie plus facile et moins chère, — à gauche le Cerro de Pasco et ses fameuses mines d’argent et de houille, — directement enfin, en avançant vers l’intérieur Tarma et le Chanchamayo, la montaña et ces contrées fertiles que forme le riche bassin de l’Amazone.

J’ai voulu voir par moi-même ce pays, qu’on m’avait tant vanté et dont on parle à Lima comme du paradis, sans le connaître. Après