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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/240

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sa vérité terrible, d’un effet saisissant : elle l’aime davantage depuis qu’il s’est abaissé jusqu’à sa hauteur ; l’espèce d’admiration qu’elle avait pour son caractère était entre elle et lui comme un obstacle qui vient de se briser. « Que tu es belle ! lui dit-il en plongeant ses regards dans ses yeux. — Tu es à moi, je t’aime, murmure-t-elle à son tour en s’abandonnant dans ses bras. — Dieu veuille que tu ne t’en repentes pas ! » À cette réponse de Jean de Thommeray, tout ce premier acte si pur et si touchant vous revient à l’esprit, et l’on frissonne malgré soi. Mme Favart, dans ce rôle de la baronne de Montlouis, est excellente d’un bout à l’autre, et tout particulièrement dans la scène dont nous venons de parler. Qu’il nous soit permis seulement de remarquer que, dans les momens passionnés, elle pousse le goût du réel jusqu’à bredouiller un peu, en sorte qu’un grand nombre de mots ne portent pas. Quant à M. Mounet-Sully, dont nous redoutions les ardeurs bizarres, il est loin de nous déplaire : sa personnalité légèrement étrange a de la saveur et du mordant dans ce rôle de gentilhomme breton perdu dans le monde parisien, et, à l’exception de deux ou trois endroits où ses coups de force sont d’une excentricité vraiment intolérable, il mérite les approbations qu’on lui donne. Autour des deux personnages principaux se groupent, dans ce second acte, plusieurs types curieusement tracés : c’est d’abord le jeune Roblot, spéculateur sans argent, mais doué de génie, que M. Coquelin met en relief avec expérience et sûreté ; puis un certain Jonquière, homme de bourse aux favoris trop noirs, à l’accent méridional, possédant une fortune aussi grosse que douteuse. M. Got excelle dans ces rôles comiques et marqués, où son jeu large et sa verve sont à l’aise. Enfin imaginez M. Thiron avec sa bonhomie fine, son sang-froid irrésistible, transformé en baron de Montlouis, par conséquent mari d’une coquette couverte de dettes, et en même temps protecteur heureux et confiant d’une déesse aux cheveux d’or du nom de Blanche. La conversation entre le baron et la baronne, la façon charmante dont celle-ci prouve à son mari son infidélité et met son pardon au prix du paiement de ses dettes, sont de la plus gaie, de la plus fine comédie.

Le troisième et le quatrième acte, qui se passent l’un dans le riche appartement de Jean de Thommeray, l’autre à Trouville, sont pleins de détails charmans, de scènes épisodiques où les auteurs semblent prendre plaisir à prouver que l’on peut avoir une idée généreuse, un but avouable et moralisateur, et en même temps posséder son métier d’une merveilleuse façon. Tout cela est groupé ou combiné avec une adresse que les spécialistes du genre pourraient difficilement dépasser. Parmi ces arabesques qui accompagnent et soutiennent le sujet principal, Jean de Thommeray poursuit sa route. Devenu homme de bourse associé à Roblot, gagnant beaucoup d’argent et menant grand train, il a bientôt cessé d’aimer la baronne, dont la passion est devenue d’autant plus vive qu’elle était moins payée de retour. Comme on le pense bien,