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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/244

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fortes, un peu rude et parfois vulgaire. L’attrait de ses nouvelles réside en grande partie dans la nouveauté de ses sujets : il nous fait faire connaissance avec un monde étrange, il nous introduit dans les camps des chercheurs d’or, — mauvais lieux transformés en bourgades, villes-tripots, coupe-gorge de quelques milliers d’âmes. Il ne cache rien, ne déguise rien, et pourtant il parvient à nous intéresser, à nous émouvoir même, en racontant les douleurs et les joies, les angoisses et les succès de ses héros déclassés.

Francis Bret Harte est né en 1839 à Albany, dans l’état de New-York, où son père était professeur dans une école de filles. Esprit cultivé et amoureux de l’étude, ce père lui donna une éducation fort soignée ; mais il mourut en 1854, et le jeune Bret Harte, ébloui par les récits des gold-diggcrs, s’en alla chercher fortune en Californie. Il se jeta résolûment dans le flot humain qui venait d’envahir les solitudes des plaines qui s’étendent entre les rivages de l’Océan-Pacifique et le pied de la Sierra-Nevada, — flot bigarré où tous les âges, toutes les conditions, tous les degrés de culture étaient représentés. Il se laissa emporter par la vague. Pendant deux ou trois ans, il erra dans les camps de mineurs et les jeunes cités qui commençaient à sortir de terre, sans domicile fixe, essayant tour à tour d’une foule de métiers. Un désir incessant de changer de place, une impatience fiévreuse du repos et de la fixité possédait alors tous ces pionniers qui venaient fouiller les entrailles de la terre promise. Les camps naissaient et disparaissaient, des cités déjà florissantes se dépeuplaient dans l’espace d’un jour, selon les hasards de la fortune, qui poussait les chercheurs d’or à se porter vers des placers nouvellement découverts, avant d’avoir épuisé les anciens. Bret Harte, au milieu de ce tourbillon d’immigrans, se fit successivement mineur, maître d’école, typographe, journaliste, courrier au service d’une entreprise de messagerie à cheval, puis agent de cette compagnie, pour laquelle il allait et venait de l’une à l’autre de ces bourgades, collées sur les flancs des montagnes, qu’il nous décrit avec tant de charme, — Sandy-Bar, Poker-Flat, Wingdam, etc. Pendant ces voyages incessans, son imagination se saturait d’impressions pittoresques, se peuplait de figures bizarres et originales, qu’il devait plus tard transformer en héros de ses récits. Vers 1857, Bret Harte reprit le chemin de « la baie, » de ce havre fortuné qui représentait alors pour les travailleurs des camps les fraîches brises de mer, la bonne chère, enfin toutes les commodités de la vie civilisée qu’ils avaient laissées derrière eux dans les « états, » — il revint à San-Francisco. Là s’ouvrit pour lui la carrière littéraire. Il entra d’abord comme compositeur dans les ateliers d’un journal hebdomadaire, the Golden Era, et il y assemblait lui-même les types qui devaient imprimer ses premiers essais. L’éditeur du journal fut frappé du talent de son jeune ouvrier, et de l’atelier Bret Harte passa dans les bureaux de rédaction de l’Âge d’or. C’est vers