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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/360

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tisme. De pareils faits se sont rencontrés chez d’autres peuples ; ce qui est propre à la Russie, c’est que toutes les guerres de son histoire ont eu le même effet. Grâce aux différences de culte, ses luttes contre le Polonais, le Suédois ou l’Allemand ont pris un air religieux aussi bien que sa longue croisade contre le Tatar et le Turc. Elle a été animée du même sentiment jusque dans ses campagnes contre nous en 1812 et en Crimée, jusque dans la répression des insurrections polonaises. Pour ce peuple, toute guerre devenait une guerre de religion, et le patriotisme se renforçait de la piété ou du fanatisme. Dans ces combats contre l’infidèle, l’hérétique ou le schismatique, le Russe apprenait à considérer son pays, la seule terre orthodoxe libre du joug musulman ou papiste, comme une terre bénie, un sol sacré. Il se regardait, à la façon du Juif, comme le peuple de Dieu, et, rempli pour sa patrie d’un respect religieux, il l’appelait la sainte Russie.

Sur la souveraineté politique, la domination tatare agit beaucoup de la même manière que sur la religion ; elle hâta l’unité nationale et l’autocratie. Le pays qui, sous le régime des apanages, semblait tomber en dissolution fut retenu par l’oppression étrangère comme par un lien. Suzerains des grands-princes, qu’ils élevaient et détrônaient à volonté, les khans leur conféraient leur pouvoir. La tyrannie étrangère, dont il était le délégué, autorisait le grand-prince à gouverner tyranniquement. Son despotisme vis-à-vis des Russes avait son principe dans sa servitude vis-à-vis des Tatars. Grâce à la Horde, il y eut ainsi dans les mains du veliki-kniaz de Moscou, transformé en agent général des Tatars, une concentration territoriale des différentes principautés, en même temps qu’une concentration politique des pouvoirs de l’état. Toutes les libertés, tous les droits d’origine slave ou germanique disparurent. La cloche du vetché cessa d’appeler les villes aux assemblées populaires, les boïars et les anciens princes apanagés n’eurent plus d’autre dignité que celle que leur conféra le souverain. Aristocratique ou démocratique, tout germe de gouvernement libre fut étouffé. Il ne resta plus qu’un pouvoir, le grand-prince, l’autocratie, qui après plus de quatre cents ans demeure encore la base de l’empire. C’est aux Mongols, disait au commencement du siècle Karamzine, que Moscou est redevable de sa grandeur et la Russie de l’autocratie. Cette opinion est aujourd’hui contestée par le patriotisme russe. Au lieu de la devoir aux Tatars, il préfère chercher les fondemens de l’autocratie moscovite dans le caractère même du Grand-Russien, et dans ses institutions à forme primitive, patriarcale, comme disent les Russes, qui pour ce mot ont une grande affection. Le grand-kniaz, qui dans la Bible slavonne prendra de David et de Salomon