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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/506

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— Avec une dot ? certainement non !

— Mais sans dot ?

— Sans dot, l’honnête homme qui vous prendrait ne serait pas un homme raisonnable, à moins qu’il ne fût très riche.

— Parce que je ne sais rien faire, parce que je suis une sultane ; c’est pour cela ! Je comprends, eh bien ! alors je renonce au mariage ; mais je veux m’en aller d’ici, je m’en irai. J’en ai eu cent fois la tentation, à présent j’en ai la volonté.

— Où irez-vous ?

— Quelque part où je pourrai travailler et ne rien devoir à personne.

— Travailler à quoi ?

— C’est vrai, je ne sais rien faire ; pourtant je parle espagnol et français.

— Moins correctement que la Dolorès, qui s’estime heureuse d’être femme de chambre.

— Ma mère gagnait son pain à enluminer des images. On vit de rien à Paris, quand on aime Paris, parce que le plaisir d’y être tient lieu de tout. Oui, oui, j’y retournerai, et je redeviendrai ouvrière. Je serai très heureuse comme cela !

— Peut-être, pourvu que vous ayez quelque avance, cela ira très bien jusqu’à ce que vous rencontriez l’amour qui vous relèvera peut-être, mais qui peut-être aussi vous jettera dans le ruisseau ! Tenez, tous vos projets sont puérils et déraisonnables. Vous avez trop vécu dans le luxe pour vous en passer. Votre santé d’ailleurs est assez compromise pour qu’une vie de privations vous soit supportable. Vous voulez un conseil, ne décidez rien, ayez le courage d’envisager le présent et l’avenir, et consultez franchement sir Richard. Ne lui cachez ni votre maladie, ni vos ennuis, ni vos regrets. C’est à lui seul que vous devez votre confiance, puisque lui seul peut vous accepter pour sa femme ou rendre son adoption moins accablante pour votre esprit, moins nuisible à votre santé. Il ne parle pas de son prochain retour ; mais demain ou après-demain il vous écrira certainement, et vous confirmera la promesse de revenir bientôt.

Je croyais dire la vérité. M. Brudnel n’écrivit pas. Pendant quinze jours, il ne nous donna pas signe de vie.

III.

Depuis que le monde est monde, un homme à qui une jeune et jolie femme confie ses peines de cœur est un homme tenté ou vaincu. D’abord je blâmai M. Brudnel de son silence, et puis je m’en inquiétai, et puis j’eus l’égoïsme de m’en réjouir. Il me sembla qu’une