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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/553

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loxéra est une sorte de gangrène humide, avec une teinte noirâtre et sans trace d’odeur fongique.

Cependant, le mal augmentant toujours, la Société d’agriculture de Vaucluse et M. Gautier, maire de Saint-Remy, appelèrent en consultation une commission de la Société centrale d’agriculture de l’Hérault. Réunis au mois de juillet 1868, les délégués étudièrent avec attention les vignes atteintes. S’adressant naturellement aux plus malades, ils n’y trouvaient que des racines pourries, sans traces de champignon ni d’insecte, circonstance aujourd’hui bien expliquée, mais qui dérouta quelque temps l’investigation. Pourtant les allures de la maladie, cette expansion graduelle autour d’un premier centre et le long des lignes de ceps, tout indiquait une cause vivante. « Cela marche comme une armée, » nous disait dans son langage pittoresque le régisseur d’un domaine. Ces mots nous engagent à de nouvelles recherches. Un coup de pioche heureux met à nu quelques racines, sur lesquelles je vois à l’œil nu des taches et des traînées de points jaunâtres. La simple loupe décompose ces traînées en une poussière d’insectes, que leur parenté avec les pucerons et les cochenilles rend suspects à titre de suceurs. Deux jours de recherches nous les font voir en cent endroits, partout où la vigne souffre. Dès ce moment, un fait capital était établi : c’est qu’un insecte presque invisible, se dérobant sous la terre, s’y multipliant par myriades d’individus, amenait l’épuisement des ceps les plus vigoureux ; mais cet insecte, d’où venait-il ? Était-il décrit ? Quels étaient en tout cas ses alliés les plus proches ? Ces questions n’étaient pas faciles à résoudre du premier coup ; elles ne pouvaient même l’être qu’à la condition de trouver l’insecte sous tous ses états.

N’ayant vu d’abord que des insectes souterrains, dépourvus d’ailes, provisoirement désignés par moi sous le nom de rhizaphis ou puceron de racines, je cherchais obstinément la forme ailée que je supposais devoir exister. Cette forme existait en effet, et, l’ayant découverte à l’état de nymphe avec ses ailes encore enfermées dans leurs fourreaux, je la vis éclore le 28 août 1868 comme un élégant petit moucheron, ou plutôt comme une cigale en miniature, portant étalées à plat ses quatre ailes transparentes. Dès lors mon rhizaphis devenait un phylloxera[1], car, sauf des diversités de détail il était difficile de le distinguer du phylloxera quercus, insecte qui vit sous la feuille du chêne blanc et dont la présence se trahit par le jaunissement du point piqué. Voilà donc l’insecte de la vigne rapporté à son vrai genre ; restait à le reconnaître pour identique avec un insecte américain.

  1. Phylloxera veut dire qui dessèche les feuilles.