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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/557

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cépages américains. » Proscrivez toute importation de vignes, en multipliant celles que vous possédez, dirons-nous à notre tour aux colons de l’Algérie ; peut-être ferez-vous encore du vin quand nos vignobles d’Europe seront décimés, sinon anéantis, en dehors des plaines basses ou la submersion pourra les sauver.

Reste pourtant à expliquer comment le phylloxera a pu s’introduire dans la région, riveraine du cours inférieur du Rhône, le point de la France et de l’Europe où les ravages se sont le plus étendus. Ici les renseignemens positifs font défaut ; cependant une hypothèse assez plausible me porte à chercher le point de départ de l’insecte dans la pépinière longtemps célèbre, aujourd’hui détruite, des frères Audibert, à Tonelle, près de Tarascon-sur-Rhône. Très riche en végétaux exotiques et notamment en arbustes directement importés des États-Unis, ce bel établissement possédait dès 1838 vingt-sept espèces ou variétés de vignes américaines. Par le témoignage d’un jardinier intelligent et instruit, M. Reynier, d’Avignon, ancien ami des frères Audibert, je sais que feu M. Clerc, maire de Roquemaure (Gard), a reçu jadis de M. Reynier lui-même des plants d’Isabelle et de Catawba. Roquemaure est à quelques kilomètres de Pujault, où le phylloxera semble s’être en premier lieu révélé et sans qu’on puisse suivre avec précision les points où ses naissantes colonies se sont établies, les probabilités sont en faveur de l’idée que Tonelle en aurait été la station première. On peut objecter, il est vrai, la date relativement récente où les ravages de l’insecte ont attiré l’attention ; mais rien ne prouve que l’arrivée de l’insecte d’Amérique ait accompagné les premiers envois de cépages de ce pays. Des sarmens nombreux ont pu venir d’Amérique sans être infectés, une bouture enracinée a suffi peut-être plus tard pour cette importation fatale[1], dont il serait d’ailleurs inique de faire un crime à ceux qui en auraient été les auteurs involontaires et inconsciens.

  1. M. Émile Mourret m’a signalé un passage de l’article Vigne, publié par Bosc dans, son Cours complet d’agriculture (1823, 13 vol.). Parlant des vignes américaines cultivées dans les pépinières royales, dont il avait la direction, Bosc s’exprime comme suit sur le compte du vitis cordifolia : « Cette espèce a péri dans les pépinières royales par suite des principes de destruction qui planent sur elles. » Il est probable que cette phrase assez obscure signifie que les conditions où se trouvaient ces pépinières lui paraissaient mauvaises en général, pour la culture des plantes, mais la mort du vitis cordifolia pourrait aussi avoir été causés pas le phylloxera, importé peut-être d’Amérique avec cette plante, et qui se serait éteint faute d’aliment pour se propager dans un milieu où les pieds de vigne n’abondaient pas. Ce n’est là qu’une simple conjecture sur laquelle j’insiste d’autant moins que plusieurs variétés dérivées du vitis cordifolia sont de celles qui résistent à l’insecte.