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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/684

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bien qu’il en eût transpiré quelque chose. En 1576, un Italien qui vivait à la cour de France, Jacques Corbinelli, imprima un recueil de Conseils et avertissemens sous le nom de Guichardin, dédié à Catherine de Médicis, et contenant environ cent cinquante de ces maximes dans la langue originale. Le fond du volume reposait évidemment sur des communications authentiques ; mais le texte primitif s’y trouvait singulièrement modifié selon le goût et les habitudes du jour ; beaucoup de pensées y étaient transformées à ce point que d’affirmatives elles devenaient négatives, ou réciproquement. Ce n’est pas là, ni dans quelques autres recueils, italiens ou français, qui parurent ensuite, écourtés, remaniés, mêlés de sentences apocryphes, que l’on peut reconnaître ni juger l’auteur.

L’édition que nous possédons aujourd’hui est excellente en ce sens qu’elle reproduit enfin le texte original : il suffirait, même sans l’affirmation de l’éditeur italien, d’une lecture superficielle pour en reconnaître la saveur. L’ordre dans lequel ces fragmens se succèdent est celui des manuscrits, mais il semble tout arbitraire ; le premier ricordo est écrit en 1529, puisqu’il y est dit que le siége de Florence dure depuis sept mois ; cependant une note de Guichardin, au milieu d’un second cahier manuscrit qui paraît postérieur, nous apprend qu’il a fait en 1527 et 1528 une révision des ricordi rédigés précédemment, et cette seconde édition répète plusieurs morceaux de la première avec une rédaction différente, plus concise, et donnant de moins par exemple les cas particuliers cités d’abord comme occasions ou comme preuves. Il y aurait lieu de chercher à découvrir, par un examen soigneux des documens originaux, les raisons qui, dans la pensée de Guichardin, ont déterminé l’ordre adopté. Ce ne serait pas un pur travail d’érudit : l’étude morale en profiterait. Il ne serait pas indifférent d’apprendre si l’auteur a écrit en une seule fois et dans une même disposition d’âme des souvenirs lointains, ou bien s’il faut attribuer une partie de son livre à sa jeunesse, une autre à son âge mûr, une troisième à sa vieillesse, ou s’il s’agit enfin d’une série continue qui reflète fidèlement l’histoire de son caractère et de son esprit. C’est de cette dernière manière sans doute qu’ont été composées les maximes de Guichardin : elles paraissent reproduire, sauf peut-être un dernier travail de rédaction, des notes, des observations, des opinions écrites au jour le jour pendant toute la durée de sa vie, en présence des événemens et des hommes. Guichardin est là tout entier, disions-nous ; ajoutons qu’il y est à chaque page le même, tant il y a eu constante unité, non pas dans son rôle, mais dans son caractère.

On pourrait se proposer de suivre dans le miroir offert par lui-même chacune des phases successives de sa carrière. On l’y voit, dans une période de jeunesse sans doute et sous l’influence de ré-